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MAN ON WIRE (2008)
James Marsh

Par Jean-François Vandeuren

Nous sommes en 1968, dans la salle d’attente d’un dentiste de Paris. Souffrant d’une rage de dents, le funambule Philippe Petit attend patiemment son tour en feuilletant les pages d’un magazine. Au bout d’un moment, ce dernier tombera par hasard sur un article portant sur le développement d’un important projet architectural dans la ville de New York, soit celui du désormais célèbre World Trade Center. À la vue d’un simple croquis des gratte-ciels en devenir, Petit sera soudainement envoûté par l’idée farfelue de tendre un fil de fer entre les deux tours et d’en effectuer la traversée. Après des années d’attente à gagner sa vie comme amuseur public et à organiser différents spectacles clandestins qui l’auront amené à se balancer entre les plus hauts sommets de la cathédrale Notre-Dame de Paris et du Sydney Harbour Bridge en Australie, Petit réalisera finalement son rêve le 7 Août 1974 dans des conditions pourtant peu favorables. Évidemment, un projet de cette envergure réclamait un dévouement monstre et une préparation physique et mentale des plus excessives. D’autant plus que cette excursion ne pouvait être effectuée que dans l’illégalité la plus totale, puisqu’il aurait été en soi assez difficile d’obtenir un permis pour la réalisation d’un projet aussi insensé. Et puis de toute façon, cela ne pouvait que rendre l’aventure encore plus excitante… C’est à la consécration de cette entreprise pour le moins déjantée que le Britannique James Marsh décida de rendre hommage avec son quatrième long-métrage, Man on Wire, Sujet inusité dont le cinéaste sut exploiter le plein potentiel, et ce, tout en s’assurant de ne jamais étirer la sauce inutilement.

L’exploit du réalisateur anglais est en soi assez remarquable, car il n’est pas rare de voir ce genre d’initiative épuiser complètement ses ressources, et ce, bien avant l’arrivée du générique de clôture. Ici, non seulement le cinéaste parvient-il à nous amener au bout de nos sièges dès les tous premiers instants du film, mais il réussit également à nous y garder jusqu’à la toute fin de celui-ci, et même au-delà. Marsh nous propose ainsi avec Man on Wire une oeuvre incroyablement stimulante dans laquelle il fusionne d’une manière on ne peut plus adroite et intelligente images d’archives, entrevues avec Philippe Petit et les quelques individus qui ont bien voulu l’accompagner dans son délire, et séquences scénarisées reconstituant avec éloquence la mise en branle du fameux « coup ». Mais en dehors de cette dynamique narrative soutenue d’une main de maître par le Britannique, c’est la façon extrêmement ingénieuse dont ce dernier orchestre son documentaire - en lui conférant notamment les attributs d’un thriller tout ce qu’il y a de plus exaltant - qui retient principalement l’attention. Le réalisateur nous plonge ainsi au coeur d’un récit rocambolesque que nous aurions pu facilement confondre avec celui d’un film d’espionnage ou de vol de banque avec ses histoires de déguisements, de faux papiers et d’infiltrations illicites. Marsh se servira d’ailleurs abondamment de son expérience acquise à titre de cinéaste de fiction pour maintenir l’atmosphère tendue dans laquelle baignent la plupart de ses scènes de dramatisation, en particulier celles dans lesquelles nos héros devront rester immobiles durant de longues heures sur les étages encore en construction des deux édifices afin de ne pas attirer l’attention des gardes de sécurité effectuant leur ronde.

La trame narrative de Man on Wire s’articule essentiellement autour des différents témoignages recueillis par Marsh auprès des quelques rêveurs téméraires ayant contribué de près ou de loin à la réalisation de ce « crime artistique du siècle ». Entretiens qui raviveront chez les principaux intéressés un souvenir encore vif et extrêmement émotif d’événements s’étant pourtant déroulés il y a déjà plus de trente ans. Manipulant son sujet aussi bien que sa caméra, le Britannique organisera son contenu de façon à créer une longue et passionnante montée dramatique dont l’apogée sera évidemment la présentation des images spectaculaires du funambule dansant sur son fil de fer plus de 415 mètres au-dessus du sol. Il faut dire que le cinéaste est tombé sur un spécimen assez exceptionnel avec Philippe Petit et n’a d’ailleurs aucune difficulté à imprégner son effort de l’exubérance et de l’enthousiasme contagieux de ce personnage haut en couleur qui ne tient pas en place une seule seconde. Une influence des plus positives qui se fera également sentir au niveau de la forme alors que Marsh finira par insuffler un caractère un peu plus populaire à ses élans en s’amusant abondamment avec l’image, multipliant les clins d’oeil aux mouvements phares du cinéma muet - tels le burlesque et l’expressionnisme allemand - d'une manière enjouée et étonnamment inspirée. Le réalisateur signe ainsi une mise en scène énergique et audacieuse s’accordant parfaitement à l’impeccable direction photo d’Igor Martinovic et au montage non-linéaire tout aussi efficace de Jinx Godfrey. Le tout sur un fond musical absolument délectable unissant certaines pièces maîtresses du compositeur minimaliste Michael Nyman à quelques-uns des plus beaux airs du répertoire classique mondial.

La question que l’on posa le plus souvent à Philippe Petit fut évidemment : pourquoi? Pourquoi avoir pris un tel risque? Quel était le sens profond d’un geste aussi extraordinaire? La vérité, c’est qu’il n’y a jamais eu de raison en soi, si ce n’est que d’offrir un moment de pure magie au milieu d’un endroit que nous qualifions ordinairement comme étant beaucoup trop rigide et glacial. Il faut dire que le rêve du funambule aura toujours été celui d’un grand enfant obsédé par la douce et simple pensée de conquérir un espace que tous croyaient imprenable. Suspendu entre la vie dans tout ce qu’elle a de plus fort et une mort aussi horrible qu’inévitable, mais surtout bien déterminé à aller au bout de ses idées, Philippe Petit remporta son pari et put ainsi envahir pendant un court instant l’imaginaire d’un peuple prisonnier d’un marasme social qui perdurait alors depuis déjà quelques années. Ironiquement, le plus bel accomplissement de Marsh aura été ici de ne jamais aborder la question des attentats du 11 Septembre 2001 et de ne pas dénaturer par la même occasion l’exploit du Français, dont il souligne néanmoins le caractère unique de cet événement qui ne se reproduira plus jamais. Une idée qu’il suggérera d’ailleurs brillamment lors d’une finale simple mais majestueuse où il présentera Petit à l’oeuvre sur un fil de fer ne dissimulant plus la moindre idée de grandeur. Marsh signe ainsi avec Man on Wire une oeuvre d'une puissance dramatique inouïe avec laquelle il aura non seulement réussi à immortaliser les prouesses de Petit d’une manière on ne peut plus inspirante, mais surtout à nous les faire vivre en nous faisant passer par la même gamme d'émotions que celle à laquelle fut jadis confronté ce héros aussi inébranlable qu'attachant.




Version française : L'Homme sur le fil
Scénario : James Marsh
Distribution : Philippe Petit, Annie Allix, Jean-Louis Blondeau, Alan Welner
Durée : 90 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 22 Octobre 2008