MAN ON THE MOON (1999)
Milos Forman
Par Vincent Bergeron
La vie très courte de l'artiste de performance avant l'heure
Andy Kaufman fait l'objet de ce film. Bien avant le nom du réalisateur,
très habile et précis, mais pas extraordinairement créatif
et reconnaissable comme le sujet de son film, nous devons retenir la
performance éblouissante du comédien de plus en plus acteur
Jim Carrey, dans le rôle de Kaufman. Rare sont les acteurs qui,
même une seule fois durant leur carrière, réussissent
à devenir leur personnage. Littéralement, la vraie femme
du vrai Kaufman croyait en sa réincarnation durant le tournage!
Qui était-il? Plusieurs réponses vagues, car il est impossible
d'être précis - comme le sont beaucoup trop les images
de Forman - en décrivant Kaufman : quelqu'un découvert
par George Shapiro (Danny DeVito), un producteur également lié
à la sitcom Seinfeld; pas votre acteur ou comédien
typique; un divertisseur de foule dans un sens large ayant la faculté
première de rendre la plupart des spectateurs inconfortables;
un artiste dada utilisant la culture populaire américaine comme
matière première; un provocateur sympathique, mais particulièrement
désagréable; un excentrique particulièrement difficile
à gérer; un génie de l'imprévisibilité;
éventuellement un artiste intègre rentrant dans le jeu
sans cesse perpétué par les demandes du public; un mort-vivant
calculant encore sa propre mort?!
Calculateur, Kaufman l'était plus de manière instinctive
que machiavélique. Il n'a jamais réussi à améliorer
son sort en choquant, et pourtant, il a multiplié les tentatives,
parfois presque malgré lui comme si l'attitude de ses personnages
lui échappait. À son sens et à celui de son plus
proche collaborateur, Bob Zmuda (joué avec beaucoup de naturel
par le maintenant plus connu, mais pas encore reconnu à sa juste
valeur Paul Giamatti) il s'agissait d'une blague très drôle,
et une blague qu'il ne faisait pas exprès de provoquer en plus!
À l'époque, le drôle de bonhomme était simplement
trop dérangeant pour être reconnu. Aujourd'hui, on lui
offrirait encore moins d'opportunités. Contrairement aux illusions
propagées par certaines émissions concepts américaines
s'avérant en fait d'un conformisme inquiétant présentant
presque moins de risque que le roman-savon du lendemain après-midi,
le monde des médias ne s'est pas ouvert davantage aux provocations
depuis les années 70, mais fermé surtout.
Lors d'une scène particulièrement efficace, on se rend
bien compte de cette réalité. Après une échauffourée
entre comédiens imprévue et difficilement explicable par
la vérité, le président du réseau présentant
Saturday Night Live propose alors, en suivant la logique qu'il
croit deviner chez Kaufman, de prétendre que ce fiasco en direct
était prévu. Ce qu'il ne saisissait pas encore très
bien est l'anticonformisme total de Kaufman. Quand le patron demande
à l'iconoclaste d'expliquer la situation au retour de la pause,
ce dernier défait le travail de son supérieur qu'il croit
plutôt inférieur (et il l'est) en expliquant au public
- sans qu'on le croit vraiment - la véracité du fiasco
présenté en direct. L'imprévisibilité totale
de Andy Kaufman le rendait génial, mais également invendable,
inacceptable dans un contexte bien réel aux enjeux sérieux,
quelque peu différent de la chambre à coucher douillette
du petit Kaufman. Évidemment, cette différence Kaufman
la reniait, au plus grand plaisir de ses fans. Avait-il raison?
Cette absence de transition entre l'enfance et la vie adulte est très
bien amenée dans le film, mais peut-être trop rapidement?
Comme plusieurs films décevants à cause d'un potentiel
énorme mal exploité, Man on the Moon commence
très fort et se poursuit ensuite avec de longs moments de stagnation
difficilement justifiables. Mentionnons la belle présence de
la chanteuse minable, mais actrice respectable Courtney Love dans le
rôle de sa femme Lynne Margulies, vivant une romance d'incertitudes
avec l'incroyable (dans tous les sens du terme) Kaufman. Également,
l'alter-ego du côté sombre Tony Clifton ne manque jamais
d'évoquer les pires excès de stars égocentriques
tout au long de Man on the Moon. Tout de même, malgré
une et même plusieurs vies aux succès inégaux, les
personnages colorés de Andy Kaufman méritaient un meilleur
film que celui de Forman.
Milos Forman aime bien étirer ses scènes les plus grasses,
celles étant les moins riches en degrés de réflexion,
notamment lorsqu'elles portent sur l'obsession grandissante de Kaufman
au sujet du médiocre monde de la lutte professionnelle. Malheureusement,
d'un point de vue biographique, cette période faisait particulièrement
mal paraître Kaufman et représente facilement la moins
intéressante à exploiter. Étrangement, son plus
grand succès, sa participation à la sitcom Taxi,
reconnue comme un modèle du genre, n'est mentionné que
très brièvement par Forman. Certes, le sympathique personnage
d'immigrant qu'il y interprétait est rapidement devenu pour lui
l'équivalent d'un poids qu'il du porter pour le reste de sa carrière,
l'empêchant ainsi d'être reconnu pour des innovations beaucoup
plus remarquables qu'un simple « Thank you very much! »
rigolo. Cet aspect est bien exploité par Forman, mais en enlevant
du temps de pellicule à la série Taxi, il propose
indirectement au public de sous-estimer la qualité de l'oeuvre,
en plus de très mal expliquer ce que Kaufman y jouait au juste.
Heureusement, Forman améliore passablement sa biographie sur
film avec une fin digne de la grande, mais trop courte (?) histoire
de l'inscrustable individu dont il est question. Mort d'un cancer aux
poumons fort improbable, le végétarien et non-fumeur Kaufman
a en quelque sorte été la victime de son propre système
par coïncidence, un peu comme Forman avec son film n'atteignant
jamais complètement le niveau d'excellence qu'il passe pourtant
si près d'atteindre.
Version française :
L'Homme sur la Lune
Scénario :
Scott Alexander, Larry Karaszewski
Distribution :
Jim Carrey, Danny De Vito, Courtney Love, Paul
Giamatti
Durée :
118 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
29 Janvier 2006