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MANHATTAN (1979)
Woody Allen

Par Jean-François Vandeuren

Ce dont on se souviendra le plus en bout de ligne du cinéma de Woody Allen sera sans contredit son amour inconditionnel pour la ville de New York et les femmes. Inconditionnel? Peut-être pas tant que ça finalement. C’est du moins ce que questionne le cinéaste dans Manhattan. Le film débute sur une séquence absolument magnifique au cours de laquelle Allen présente sa ville fétiche par le biais de son personnage d’Isaac Davis. Ce dernier tente alors en voix off de mettre en mots ce que New York représente à ses yeux. Isaac semblera alors tiraillé entre deux discours foncièrement opposés s’affrontant entre son amour pour l’atmosphère unique de la mégapole et ses opportunités, et le mépris le plus singulier pour son côté crasseux et de plus en plus égocentrique qu’elle développa au fil des ans. Il y a ensuite les trois femmes de sa vie actuelle : Tracy, une jeune femme de 17 ans avec laquelle il entretient une histoire passionnante, mais qu’il sait éphémère, Jill, son ex-femme qui le quitta pour une autre et qui prévoit sortir un livre décrivant en détails leur séparation et Mary, la maîtresse de son meilleur ami dont il ne peut pas sentir au départ la personnalité pédante et faussement intellectuelle, mais à laquelle il s’attachera progressivement au fil de leurs fréquentations.

Allen reprend donc une fois de plus les traits bien connus de son personnage d’écrivain névrosé tentant de composer avec un milieu qui lui échappe de plus en plus, que ce soit d’un point de vue social, professionnel ou personnel. L’idée particulièrement brillante du réalisateur américain dans le cas présent se manifeste dans la façon dont il parvint à confondre ses préoccupations face aux changements que subit le Big Apple et l’ambiguïté de ses relations avec les femmes. Une comparaison des plus pertinentes où, dans les deux cas, Isaac Davis conserve malgré tout ses illusions et sentiments malgré une évolution marqué d’une perte drastique de ses idéaux. Ce dernier tentera ainsi par exemple de renouer avec le New York de sa jeunesse à travers sa relation avec Tracy tout en sachant qu’il devra se faire à cette nouvelle réalité qu’il redoute tant. Un scénario classique se contenterait facilement d’un tel déroulement pour se conclure sur une morale nous montrant un personnage qui a visiblement appris de ses erreurs désormais motivé à mettre de l’ordre dans a vie. Mais venant de l’esprit entêté d’un Woody Allen se rattachant beaucoup plus à ses instincts qu’à sa lucidité, Manhattan dévoile plutôt les attributs d’un récit basant ses forces sur la grande sincérité et la spontanéité de ce dernier, si ce n’est que parce qu'il n'essaie pas de nous faire avaler que l’esprit humain peut changer complètement du jour au lendemain.

Le cinéaste appuie du même coup ses élans littéraires par une des factures visuelles les plus travaillée de sa carrière, tirant profit de la sublime photographie monochrome de son film afin de créer des séquences s’inscrivant parmi les moments les plus majestueux de la carrière du cinéaste d’un point de vue visuelle. On se souviendra particulièrement en ce sens de la scène d’ouverture de l’effort et de quelques scènes où la minutie de la composition des plans d’Allen fait naître une poésie visuelle à couper le souffle. Une élégance que recréé Allen également dans la présentation de ses différents personnages qu’il nuance entre l’abondance habituelle de dialogues, qui brillent une fois de plus par leur justesse aussi comique que dramatique, et le jeu des comédiens. Le cinéaste tisse ainsi des rapports importants entre deux formes de langage qui ne se complètent pas nécessairement et ne traduisent pas non plus les mêmes pensées ou intentions, venant servir une fois de plus parfaitement la remise en question d’Allen face à sa relation avec la ville de New York (et les femmes, évidemment).

Il est tout de même difficile de concevoir que Woody Allen ait pu détester le résultat final de Manhattan au point de proposer à la United Artists de réaliser un autre projet gratuitement à condition que le présent film reste sur les tablettes et ne soit jamais présenté au public. D’autant plus que Manhattan demeure encore aujourd’hui l’une des œuvres les plus acclamées du cinéaste new-yorkais aux côtés du magistral Annie Hall, et avec raison d’ailleurs. La mise en scène d’Allen évoque ainsi brillamment les traits d’une époque révolue par rapport à laquelle le réalisateur livre un témoignage prenant sur le vieillissement et ces moments où l’on essaie de manière inconsciente de renouer avec certains éléments du passé en les reflétant à l’intérieur de diverses sphères de notre existence. Manhattan résulte ainsi d’un scénario signé de la plume d’un Woody Allen extrêmement reposé et ludique qui sait pertinemment qu’il devra apprendre à faire face à la musique un jour où l’autre. Mais connaissant le tempérament de ce dernier, la question demeure à savoir pour combien de temps encore pourra-t-il repousser cet ultimatum.




Version française : Manhattan
Scénario : Woody Allen, Marshall Brickman
Distribution : Woody Allen, Diane Keaton, Michael Murphy, Mariel Hemingway
Durée : 96 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 13 Décembre 2005