MANDERLAY (2005)
Lars Von Trier
Par Jean-François Vandeuren
Le principal risque que représentait cette suite à Dogville
était de voir Lars Von Trier reprendre une expérience
cinématographique originalement insolite pour la transformer
malgré lui en une formule redondante et étrangement familière.
Mais vu le sujet que le cinéaste danois décida d’aborder
pour ce deuxième volet, on pouvait s’attendre en même
temps à un film tout aussi consistant, sinon plus, au niveau
du discours. Étrangement, c’est exactement le contraire
qui s'est produit. Von Trier parvient sans trop de difficultés
à pousser les hostilités de son concept un tantinet plus
loin, mais pour nous servir un récit faisant état d’un
blocage parfois décevant au niveau de l’écriture.
Nous retrouvons ainsi Grace, cette fois-ci interprétée
par la jeune Bryce Dallas Howard, qui, depuis les évènements
de Dogville, suit les traces de son père dans les affaires familiales.
Le groupe de gangsters tombera une nuit sur un domaine nommé
Manderlay, à l’intérieur duquel l’esclavage
n’a vraisemblablement pas été aboli. Suite à
la mort de la propriétaire des lieux, Grace tentera de redonner
liberté et fierté aux travailleurs de cette plantation
de coton, mais tout ne se déroulera pas exactement comme prévu.
Le problème majeur de Manderlay se situe en soi au niveau
des dialogues et de la narration hors champ employée par Von
Trier pour raconter son histoire. D’une part, le début
moralisateur du film nous réintroduit d’une manière
peu efficace à l’ensemble par le biais de dialogues qui
ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’approche
du réalisateur. L’effort parvient tout de même à
se stabiliser sur un niveau d’écriture plus élaboré,
mais n’échappe toutefois pas à une narration qui
se limite souvent à décrire ce qui est déjà
amplement mis en évidence à l’écran. D’autre
part, le personnage de Grace constitue aussi un problème de taille
en soi. L’actrice Bryce Dallas Howard, qui se tire somme toute
bien d’affaire, ne fait cependant aucune étincelle et ne
parvient jamais à atteindre l’étoffe ou la nuance
du jeu brillant de Nicole Kidman. La comparaison est d'autant plus inévitable
dans ce cas-ci vu la similarité du parcours psychologique emprunté
par Grace dans les deux films. Le reste de la distribution, particulièrement
Danny Glover, se tient tout de même debout malgré le temps
d’écran plutôt limité accordé à
chacun.
Lars Von Trier forge malgré tout un discours assez intéressant
qui aborde évidemment sans grande subtilité toute la question
du racisme aux États-Unis, à savoir que les choses n’ont
pas vraiment changé depuis l’abolition de l’esclavage
et que cette mentalité est encore bien ancrée dans les
mœurs du pays. Laquelle est manifestée d’une manière
beaucoup moins ouverte aujourd’hui, mais le résultat demeure
sensiblement le même. Le réalisateur se révèle
par contre beaucoup plus agile lorsqu’il met cette situation en
parallèle avec les politiques étrangères américaines
et l’actuel conflit irakien, dont les dits efforts de reconstruction
sous la tutelle des armes ne font bien souvent qu’empirer une
situation initiale qui, pour ses habitants, constituait un moindre mal.
Visuellement, Von Trier utilise sensiblement les mêmes stratagèmes
techniques que dans Dogville, nous ramenant devant des décors
et accessoires fragmentés qui ne sont là que par nécessité
au récit. Donc, si l’idée ne vous avait guère
enchantés la première fois, vous n’y trouverez évidemment
pas plus votre compte avec Manderlay. Le réalisateur
parvient tout de même à renouveler son approche sans nécessairement
la surpasser, usant d’une façon particulièrement
ingénieuse certains jeux d’éclairages afin de souligner
la théâtralité de la démarche. Von Trier
pousse également l’initiative assez loin lors d’une
scène de tempête qui constitue du même coup le moment
dans le film où la narration tonitruante de l’effort entre
le mieux en symbiose avec l’univers déconstruit du cinéaste.
Lars Von Trier nous convit donc à une autre étape savamment
écrite de son discours sur cette terre d’opportunités
que représente les États-Unis, empruntant une tournure
scénaristique toujours pertinente et parsemée d’observations
tout à fait louables sur la politique américaine et sa
vision unidimensionnelle des cultures et régimes sociaux étrangers.
Le ton employé par le cinéaste danois à cet effet
se révèle par contre quelque peu manipulateur pour un
film qui, malgré quelques faux pas et choix discutables au niveau
narratif, demeure à tout le moins assez consistant. La déception
est toutefois plus grande vu le contexte qui fut si superbement établi
par son prédécesseur et le sujet abordé dans ce
cas-ci qui aurait pu facilement en faire un effort encore plus marquant.
Attendons tout de même de voir si l’opus final de la trilogie
de Von Trier saura justifier plus adroitement l’étalement
d’un tel concept au delà d’un seul film.
Version française : Manderlay
Scénario : Lars Von Trier
Distribution : Bryce Dallas Howard, Isaach De Bankolé,
Willem Dafoe, Danny Glover
Durée : 139 minutes
Origine : Danemark, Suède, Pays-Bas, France, Allemagne,
États-Unis
Publiée le : 22 Octobre 2005
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