MALLRATS (1995)
Kevin Smith
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il est difficile de faire le saut dans la machine hollywoodienne après
avoir fait sa marque sur le circuit indépendant. C’est
ce que Kevin Smith a appris à ses dépens avec Mallrats,
le second volet de sa « trilogie du New Jersey ». Suite
au succès surprenant de son premier film (Clerks) tourné
pour 30 000 $, Smith s’est vu offrir la somme de cinq millions
de dollars pour réaliser son deuxième long métrage.
Toutefois, les critiques l’attendaient de pied ferme au détour
et le film fut injustement détruit à sa sortie, en plus
d’être un échec commercial cuisant. Cependant, Mallrats
est devenu, avec les années, l’objet d’un véritable
culte au même titre que les autres films de Smith.
Certes, on ne peut pas donner beaucoup de crédit à Kevin
Smith en tant que réalisateur. Sa caméra est purement
monstrative et terriblement statique, ce qu’il n’hésite
pas lui-même à avouer. Ce qui fait le charme de son cinéma,
c’est plutôt son sens de la répartie absolument savoureux.
Truffés de maintes références hilarantes à
la culture populaire, ses dialogues sont d’une efficacité
dévastatrice et débordent de citations potentielles de
premier ordre. De ce côté, Mallrats ne fait pas
exception à la règle. De plus, les personnages de Smith
sont éminemment sympathiques et étrangement crédibles
malgré leur nature très caricaturale. Cette combinaison
confère un charme automatique à cette comédie qui
aurait pu être dangereusement banale, car côté scénario,
le film n’offre rien de bien substantiel. Brodie (Jason Lee) et
T.S. (Jeremy London), deux amis de longue date, se font larguer le même
jour par leur copine respective et vont se réfugier dans le centre
d’achat local afin d’oublier leurs tourments. Or, ce centre
d’achat est la seconde demeure d’une foule de personnages
hétéroclites qui aideront le duo à reconquérir
les jolies demoiselles qui les ont abandonnés. À la base,
donc, Mallrats suit plus ou moins la formule de Clerks
en la transposant dans un centre d’achat…
C’est avec un grand plaisir que l’on suit les péripéties
triviales de cette sympathique bande de slackers au cours d’une
journée de leur existence. Mallrats se veut un hommage
aux comédies pour adolescents des années 1980 dans lesquels
l’humour verbal et les gags physiques cohabitent allégrement.
Cet humour physique ne vole pas toujours très haut: certaines
blagues relèvent carrément de l’humour de toilettes.
Mais le tout est livré avec une telle candeur que l’on
se laisse charmer malgré tout. Toutefois, malgré l’influence
profonde du cinéma populaire des années 1980 sur Mallrats,
le film reste un pur produit des années 1990 de par son ironie,
mais aussi de par cette glorification qu’il fait du quotidien
et de la culture populaire.
Bien entendu, la présence des légendaires Jay et Silent
Bob aide le film à prendre son envol, mais c’est la performance
de Jason Lee qui retient vraiment l’attention. Il domine le film
du début à la fin, livrant chacune de ses répliques
avec un flair comique absolument époustouflant. Son interprétation
charismatique est d’autant plus impressionnante qu’il fait
avec Mallrats ses premiers pas devant la caméra. On
ne peut toutefois pas dire la même chose de Jeremy London et de
Claire Forlani, tous deux terriblement fades dans des rôles qui,
heureusement, ne demandent pas une très grande flamboyance. Le
manque absolu de charisme de London vient même renforcer l’idée
qu’il n’est que le faire-valoir du Brodie de Lee.
Ce qui sépare le film des autres comédies du même
genre, ce sont non seulement les dialogues absolument formidables de
Smith, mais aussi cette galerie de personnages attachants qu’il
anime devant nous avec un plaisir qui transparaît à l’écran.
Et malgré les innombrables références à
la vie sexuelle de Superman et aux Jedi, c’est un film personnel
que nous offre Smith, une caractéristique qui a toujours échappé
à ses nombreux fils spirituels, quoiqu’ « enfants
bâtards » soit un terme plus approprié dans le cas
présent. Mallrats est une comédie fort sympathique
qui ne changera pas le monde, mais qui a le mérite de vraiment
faire rire et d’avoir été faite avec amour.
Version française :
Les Flâneurs
Scénario :
Kevin Smith
Distribution :
Jason Lee, Jeremy London, Shannen Doherty, Claire
Forlani
Durée :
96 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Février 2004