MALCOLM X (1992)
Spike Lee
Par Alexandre Fontaine Rousseau
En 1992, les émeutes de Los Angeles firent remonter à
la surface la question raciale que l'Amérique moyenne avait repoussé
jusqu'aux plus profonds confins de son subconscient. Entre 50 et 60
individus sont morts durant l'explosion de violence du 29 avril 1992,
alors que la police procédait à plus de 10,000 arrestations
en lien à cette révolte populaire. Débutant sur
les fameuses images de Rodney King battu à mort par quatre policiers,
Malcolm X dépasse le simple drame biographique et s'affirme
fièrement à la fois comme un film politique et comme une
hommage à la culture afro-américaine sous toutes ses formes.
En raison de la réputation du personnage en question, Spike Lee
aura eu toutes les misères du monde à mener à bon
port le projet de présenter la vie de ce controversé militant
de la cause des droits civiques. Il est toujours de bon goût de
célébrer le pacifiste catégorique Martin Luther
King. Mais, il est plus épineux d'aborder le sulfureux Malcolm
X, prêt à utiliser les mêmes armes que ses ennemis
s'il en sentait le besoin...
Le projet est ambitieux et le personnage complexe. Mais le besoin viscéral
de faire ce film plane toujours sur la conscience de Lee. Le premier
objectif du réalisateur est de corriger certaines des erreurs
communément répandues au fil des ans au sujet de l'activiste
afro-américain. Malcolm X détruit l'image simpliste
du noir assoiffé de suprématie raciale car il dépeint
en détails le parcours et surtout la progression intellectuelle
de cette figure marquante de l'histoire des États-Unis. D'abord
porte-parole du mouvement Nation of Islam d'Elijah Muhammad, Malcolm
Little - devenu X pour rejeter son nom d'esclave - sera trahi par ceux
qui se sont substitués à son Dieu. Sous-tendant un intéressant
débat sur la nature de la spiritualité, le film de Lee
présente un homme prêt à rejeter les institutions
religieuses pour embrasser au contraire les enseignements de sa religion.
Dans un geste d'une grande intégrité morale, Lee s'efforce
à la fin de son film de remettre les pendules à l'heure.
Aussi talentueux soit-il, il refuse de substituer Denzel Washington
au véritable personnage historique et vient commémorer
la vie de son sujet à l'aide d'un montage inspiré d'images
d'archives. Cette technique, que Lee répète à plusieurs
reprises dans son oeuvre, est la preuve d'un grand courage de la part
du cinéaste. Spike Lee est capable de brouiller la frontière
entre la fiction et la réalité. Mais, d'abord et avant
tout, il ose briser d'un coup sec l'illusion filmique pour respecter
le monde réel. L'esthétique devient en ce sens une affaire
d'éthique, et l'art retrouve son sens voire son utilité
sociale.
Il est facile de rejeter le travail d'un cinéaste sur un tel
film, de faire reposer le succès d'une telle entreprise sur la
stature d'un personnage historique. Mais le travail de reconstitution
et de célébration de l'histoire afro-américaine
auquel s'applique Spike Lee est tout simplement admirable. Malcolm
X est le produit d'une culture riche, marquée par la musique
jazz et la ferveur religieuse, le fruit d'une résistance constante
face à l'oppression parfois sauvage de la communauté blanche.
On accuse parfois le début de Malcolm X d'être
tapageur et frivole. Mais Spike Lee est un homme de chants et de danse
investi de l'esprit de la fête. Il peut être sérieux
sans s'interdire toute forme de plaisir. C'est pourquoi ses habituelles
tactiques esthétiques qu'il emploie ici à bon escient
ne semblent pas déplacées.
Controversé, le personnage de Malcolm X l'est. Sans aborder en
profondeur toutes les questions qui ont fait de lui un objet de division,
le film de Spike Lee s'efforce à tout le moins de les mentionner
pour inciter comme il aime tant le faire à la réflexion.
Lorsqu'une jeune étudiante blanche demande à l'activiste
ce qu'elle peut faire pour assister la cause nationaliste noire, X/Washington
répond par un «nothing » clair et net. Certains interprètent
le personnage de Malcolm X comme une sorte de raciste inversé,
haïssant les blancs comme les blancs haïssent les noir. Ne
faudrait-il pas plutôt comprendre que ce fervent défenseur
de l'union de son peuple savait instinctivement que l'émancipation
est un processus d'abord personnel? L'évolution du personnage
de son vivant démontre d'ailleurs qu'il prendra progressivement
conscience de la nature relative de toutes les causes. L'homme blanc
n'est pas le démon que sa rééducation musulmane
lui avait imposé.
D'emblée, il s'avère impossible de couvrir en un seul
film toutes les questions que soulève un personnage de la trempe
de Malcolm X. Spike Lee arrive néanmoins à présenter
les grandes lignes de son histoire sans sombrer dans la facilité
et la vulgarisation excessive. Son film est d'abord un pamphlet populaire,
soit. Mais sa puissance n'en souffre pas outre mesure. À tout
le moins, le réalisateur aura été capable de monter,
avec un budget somme toute limité, un puissant hommage au personnage
en plus de pousser le grand public à s'informer plus en profondeur
à son sujet. Pour toutes ces raisons, Malcolm X demeure
une oeuvre clef dans sa filmographie et aspire à plus que le
drame biographique moyen.
Version française :
Malcolm X
Scénario :
Arnold Perl, Spike Lee
Distribution :
Denzel Washington, Angela Bassett, Albert Hall,
Delroy Lindo
Durée :
202 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
7 Avril 2006