LUCKY LUKE (2009)
James Huth
Par Jean-François Vandeuren
Après autant de tentatives infructueuses, la question se pose
à savoir si une adaptation de l’oeuvre du bédéiste
français René Goscinny est réellement possible
en marge des assises du cinéma d’animation. Ce qui était
toutefois clair après le soporifique Astérix et Obélix
contre César de Claude Zidi et l’insupportable Iznogoud
de Patrick Braoudé, c’est que le problème dans ce
cas-ci ne se situe pas tant au niveau de l’action (comme cela
aurait été le cas pour une histoire de super-héros)
que celui du ton. Un problème qu’aura su éviter
Alain Chabat en décidant de n’en faire qu’à
sa tête, ne respectant l’oeuvre originale que sur une base
théorique en l’adaptant à son propre humour déjanté
pour finir par nous servir le sensationnel Mission Cléôpâtre
de 2002. Nous pouvions nous montrer tout aussi optimistes face à
ce Lucky Luke, deuxième collaboration entre Jean Dujardin
et le réalisateur James Huth après le raté, mais
étrangement sympathique, Brice de Nice de 2005. Nous
ferons d’abord la connaissance du tireur le plus rapide de l’Ouest
alors que celui-ci n’est encore qu’un gamin. Par une journée
tout ce qu’il y a de plus ordinaire, le jeune John Luke verra
ses deux géniteurs être froidement abattus par le gang
des tricheurs. Plusieurs années plus tard, le cowboy solitaire
se verra confier la tâche de vider Daisy Town de tous ses malfrats
en vue de l’inauguration d’une importante ligne de chemin
de fer à laquelle doit assister le président des États-Unis.
S’autoproclamant shérif des lieux, Lucky Luke sera vite
confronté à la bande de Pat Poker (Daniel Prévost)
- qu'il découvrira responsable de la mort de ses parents. Une
révélation qui mènera à un duel au cours
duquel Luke tuera un homme pour la toute première fois. Traumatisé,
ce dernier accrochera son colt et tentera de refaire sa vie en tant
que fermier. Évidemment, tout ne se passera pas exactement comme
prévu…
Il ressort, certes, du présent exercice un réel désir
de rendre justice au célèbre personnage de Morris et Goscinny
et à son univers. Nous ne pouvons d’ailleurs aucunement
accuser James Huth et sa coscénariste Sonja Shillito de ne pas
avoir cherché à trouver un juste milieu entre une démarche
visuelle et narrative se rapprochant davantage de celle du western traditionnel
et celle que nous associons ordinairement à une facture typiquement
« bédéesque ». Évidemment, les qualités
plastiques de ce Lucky Luke version 2009 se situent principalement
au niveau des décors et des costumes où l’équipe
de Huth sera parvenue à marier d’une manière étonnamment
habile une palette de couleurs assez vives aux traits d’un environnement
pourtant tout ce qu’il y a de plus déglingué. Cet
amour pour la bande dessinée se fait également ressentir
au niveau du choix et de la composition des différents personnages,
allant ici de Billy the Kid (Michaël Youn) à Calamity Jane
(Sylvie Testud) en passant par un Jesse James (Melvil Poupaud) littéralement
obsédé par l’oeuvre de William Shakespeare. Il ne
manque en soi que Rantanplan et les frères Dalton - que l’on
a sûrement gardés en réserve pour une éventuelle
suite - pour compléter ce joli portrait de famille alors que
Huth et Shillito se seront même permis de donner un droit de parole
à ce bon vieux Jolly Jumper. Les amateurs de longue date tout
comme les non-initiés sauront donc immédiatement à
quoi s’en tenir. Mais si nous pouvons saluer un tel souci d’authenticité
face à l’oeuvre originale, celui-ci a toutefois tendance
à devenir quelque peu problématique dans le cas présent
alors qu’il finit par donner lieu à bon nombre d’excès,
mais à l’intérieur d’un cadre dramatique beaucoup
trop rigide. Ainsi, ce qui pouvait être d’un ennui mortel
dans Astérix et Obélix contre César se
révèle parfois particulièrement irritant dans le
film de James Huth.
Le récit de Huth et Shillito s’obstine d’ailleurs
à ne jamais aller au-delà de ses propres frontières,
faisant de Lucky Luke une expérience cinématographique
dont l’évolution semble la plupart du temps forcée
et irréfléchie. Le duo use ainsi de stratagèmes
scénaristiques peu inspirés pour tenter de maintenir le
cap tout au long de cette aventure malheureusement sans intérêt
- on pense, entre autres, à ces constants retours en arrière
devant ajouter une certaine profondeur psychologique à cette
intrigue qui n’en avait pas nécessairement besoin a priori.
À cet effet, on aurait aussi pu faire franchement mieux que le
cas typique des parents assassinés. Mais le principal problème
de Lucky Luke se situe au niveau de l’intonation alors
que l’effort - dans ses péripéties comme dans ses
interactions - sonne parfois terriblement faux. Le tout est évidemment
dû à la piètre qualité des dialogues, lesquels
sont débités d’une manière si exagérée
par certains interprètes que c’est à peine si nous
ne pouvons pas voir les bulles flotter au-dessus de la tête de
ces derniers. Un manque de rigueur pour le moins accablant que nous
retrouvons également dans la façon dont les deux auteurs
cherchent désespérément à rendre chaque
situation comique ou spectaculaire, mais en insistant tellement sur
le gag ou la prouesse de leur héros qu’ils finissent inévitablement
par produire l’effet contraire. Néanmoins, d’un point
de vue strictement visuel, le réalisateur aura su rendre un hommage
assez senti au western spaghetti en en recréant habilement l’univers
sale et suffocant, en plus de proposer quelques trouvailles esthétiques
particulièrement impressionnantes. Dommage qu’une telle
facture tourne à la catastrophe à chaque fois que l’un
des personnages ouvre la bouche. Des cadrages statiques possédant
à peine le relief d’une case de bande dessinée s’enchaînent
alors par l’entremise d’un montage déficient, déjà
largement responsable du rythme saccadé affligeant la totalité
de l’effort.
Et ça, c’est lorsque le film ne cherche pas à étirer
inutilement en longueur une séquence en amenant certaines idées
plus loin que ce qui est réellement nécessaire sans forcément
leur apporter quoi que ce soit. Il faut dire que Lucky Luke
souffre d’une inefficacité pour le moins désolante,
et ce, autant sur le plan humoristique que dramatique. Comme si trop
convaincu de la pertinence de ses propres atouts, le duo signe un récit
d’une grande puérilité, tandis que la surprenante
réalisation de Huth finit par être trahie par l’essence
d’une création que le cinéaste n’arrive tout
simplement pas à adapter à son médium. De leur
côté, les différents comédiens ayant accepté
de participer au projet se tire somme toute assez bien d’affaire
malgré plusieurs scènes de cabotinage à la limite
du supportable, en particulier un Jean Dujardin toujours aussi savoureux
dans le rôle de ce jeune bambin jouant au cowboy déguisé
en tireur surdoué. Dommage, car tous les éléments
étaient bel et bien en place pour faire de cette entreprise une
franche réussite. Ce qui aura miné la production, au fond,
c’est le manque d’assurance et de liberté dont auront
fait preuve les deux auteurs durant l’élaboration de leur
scénario. Il s’agit pourtant du genre de risques qui se
sont avérés payants au cours des dernières années
- on a qu’à penser aux deux délirants épisodes
de la nouvelle mouture d’OSS 117. Mais ici, nous n’avons
affaire qu’à un exercice cinématographique bénéficiant
de moyens de production plus qu’impressionnants, mais qui ne s’assume
jamais comme tel, nous guidant sans intuition et sans imagination dans
les méandres d’une intrigue répétitive et
tout ce qu’il y a de plus prévisible. Ainsi, contrairement
à son principal antagoniste, le film de Huth n’a finalement
que très peu de tours dans son sac. Le réalisateur Philippe
Haïm avait évidemment fait bien pire en 2004 avec Les
Dalton… Quoique…
Version française : -
Scénario : James Huth, Sonja Shillito
Distribution : Jean Dujardin, Melvil Poupaud, Sylvie Testud, Michaël
Youn
Durée : 104 minutes
Origine : France, Argentine
Publiée le : 3 Février 2010
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