THE LOVELY BONES (2009)
Peter Jackson
Par Jean-François Vandeuren
Depuis le début des années 2000, la filmographie de Peter
Jackson ne semble plus vouloir se nourrir que d’adaptations et
de relectures de classiques confirmés de la littérature,
du cinéma, et même du jeu vidéo. De Lord of
the Rings à King Kong en passant par le projet
avorté d’un premier film basé sur la série
Halo - pour lequel il devait agir à titre de producteur
exécutif - le cinéaste continua néanmoins de clamer
haut et fort son amour pour les histoires se déroulant à
l’intérieur de différents mondes fantastiques. Le
dévouement surhumain et l’esprit de grandeur ressortant
de ces quelques productions auront également permis aux studios
WingNut Films d’acquérir une notoriété des
plus enviables sur la scène internationale. Pas mal pour un réalisateur
dont les premières aventures derrière la caméra
s’inscrivaient dans les registres d’une série B aussi
juteuse que jouissive. Poursuivant sur sa lancée, le Néo-Zélandais
nous propose à présent l’adaptation du roman The
Lovely Bones de l’Américaine Alice Sebold. S’il
s’agit là d’une première véritable
incursion au coeur d’un cinéma à teneur plus dramatique
depuis l’excellent Heavenly Creatures de 1994, la présente
intrigue possédait tout de même déjà une
aura suffisamment fantaisiste pour permettre au cinéaste d’orchestrer
une nouvelle symphonie d’effets numériques (plus ou moins
justifiée). Malgré tous les compromis qu’il aura
dû faire en portant les écrits de Tolkien à l’écran,
le réalisateur aura su se sortir brillamment d’affaire
en effectuant des choix suffisamment justes et éclairés
pour satisfaire les mordus et offrir à tous un spectacle pertinent
sur le plan narratif. Si de telles prouesses pouvaient certainement
nous mettre en confiance quant à la qualité du présent
exercice, Jackson nous réserve malheureusement de biens mauvaises
surprises cette fois-ci, simplifiant à outrance le récit
de Sebold en plus d’évacuer la plupart des éléments
qui en faisaient une oeuvre si fascinante sur papier.
La modification de plusieurs passages du roman est inévitable
dans ce genre de circonstances alors que certains événements,
tout comme leur place respective sur la ligne du temps de l’intrigue,
se révèlent souvent complètement différents
une fois à l’écran. Il s’agit d’un processus
tout à fait normal visant à solidifier les bases d’un
scénario là où une fidélité totale
à l’oeuvre originale aurait pu s’avérer bien
plus problématique d’un point de vue cinématographique.
Le problème dans ce cas-ci, c’est que l’essence de
l’histoire que nous racontent Peter Jackson et ses acolytes Philippa
Boyens et Fran Walsh n’a en soi rien à voir avec celle
du bouquin d’Alice Sebold. La prémisse de départ
demeure évidemment la même : en 1973, alors qu’elle
rentrait de l’école, Susie Salmon (Saoirse Ronan) rencontra
l’un de ses voisins (Stanley Tucci) qui l’entraîna
dans une pièce souterraine dont elle n’allait jamais ressortir.
Violée, puis sauvagement assassinée, la jeune fille aboutira
ensuite dans un endroit céleste entre la Terre et le Paradis
tandis que son corps n’aura toujours pas été retrouvé
et que les autorités ne sembleront pas avoir le moindre suspect
dans cette affaire. Pourtant, il ne ressort de cette adaptation paresseuse
qu’une fable étonnamment morne sur le deuil dont l’impact
dramatique s’avère des plus limités. Car si l’approche
de la romancière avait été un tant soit peu respectée,
la trame narrative de The Lovely Bones s’apparenterait
d’avantage à celle d’un film comme le Zodiac
de David Fincher. À travers un récit s’échelonnant
sur plus de dix ans, Sebold réussissait à rendre le temps
pesant en nous faisant vivre l’effondrement d’une famille
rongée par le doute, la tristesse et la colère. De son
côté, Susie contemplait l’évolution du monde
qu’elle avait habité, de ses parents comme de son bourreau
et des gens qu’elle aurait voulu connaître et qui, à
présent, vivaient les expériences auxquelles elle ne serait
jamais confrontée.
La plus grande bévue des trois scénaristes aura d’ailleurs
été de s’acharner à vouloir couper les coins
ronds afin d’arriver à un résultat moins dilaté,
et donc beaucoup plus classique. Le passage du temps n’est ainsi
aucunement ressenti alors que si ce n’était d’une
courte séquence servant uniquement à illustrer rapidement
cette progression, nous aurions très bien pu penser que le récit
ne se déroulait en fait qu’à l’intérieur
de quelques mois. Le recours constant à l’ellipse dans
The Lovely Bones s’avère d’ailleurs des
plus maladroits alors que Jackson et son équipe cherchent tant
bien que mal à mettre l’emphase sur certains passages en
particulier, et ce, au détriment de la cohésion dramatique
de l’ensemble. L’un des meilleurs exemples à cet
effet demeure cette séquence dans laquelle une Susan Sarandon
en grand-mère extravagante et alcoolique envahira la demeure
des Salmon pour tenter d’y remettre un peu de vie, faisant du
coup passer le meurtre irrésolu de la jeune Susie pour quelque
chose d’aussi banale qu’une vilaine grippe. Le problème
réside également dans la façon dont le trio n’arrive
pas toujours à agencer les différentes teintes de son
intrigue. Entre les couleurs flamboyantes d’un univers parallèle
kitsch à souhait - donnant tout de même lieu à quelques
élans visuels on ne peut plus saisissants - et celles d’une
réalité beaucoup moins réjouissante, Jackson est
tout simplement incapable de communiquer proprement l’horreur
et la gravité des événements de son film, tout
comme la détresse des individus qui les vivent. Nous pourrions,
certes, applaudir la retenue avec laquelle le réalisateur aura
su traiter le massacre de l’adolescente. Mais en même temps,
une telle distanciation semble traduire un malaise à même
les rouages du scénario en plus d’un désir de ne
jamais confronter directement la lourdeur et la morbidité d’un
tel incident, que l’on croyait d’autant plus inimaginable
à cette époque.
The Lovely Bones se révèle ainsi une adaptation
qui ne semble jamais savoir où donner de la tête et qui,
par conséquent, ne réussit pas à édifier
quoi que ce soit de façon significative, et ce, malgré
sa durée s’étalant sur plus de deux heures et quart.
C’est le cas notamment au niveau du développement de certains
personnages secondaires ayant été vidés ici de
toute substance et qui, à la limite, ne servent plus à
rien dans l’univers de Jackson. Mais le principal problème
du présent effort demeure en soi le fait que ses instigateurs
ne réussissent tout simplement pas à rendre leur mise
en situation crédible. Ces derniers auront été
rattrapés par la façon dont ils passèrent volontairement
par-dessus certains concepts fondamentaux élaborés par
l’auteure américaine, telle la façon d’aborder
la mort avec un enfant de cinq ans ou encore l’angoisse d’une
mère qui finit par succomber à l’adultère
avant d’abandonner complètement sa famille. Dans tous les
cas, le blâme ne peut pas être porté ici sur les
interprètes. En père bouleversé, Mark Wahlberg
se tire correctement d’affaire, lui dont le personnage aura été
passablement affaibli, alors que Saoirse Ronan réussit sans difficulté
à rendre son personnage désarmant et que Stanley Stucci
campe de manière foudroyante cet individu on ne peut plus sombre
et inquiétant. Malgré la piètre qualité
de certains effets visuels, l’emballage esthétique de The
Lovely Bones s’avère tout de même des plus impressionnants.
Peter Jackson propose une fois de plus une réalisation tout ce
qu’il y a de plus léchée, lui qui se permettra même
un bref caméo digne d’Alfred Hitchcock, tandis qu’Andrew
Lesnie (The Lord of the Rings, King Kong) signe une
direction photo absolument spectaculaire et que Brian Eno enrobe le
tout d’une bande originale tout aussi ensorcelante. The Lovely
Bones demeure ainsi un film aux idées intrigantes et aux
intentions fort honorables, mais dont l’exécution s’avère
trop souvent déficiente.
Version française : La Nostalgie de l'ange
Scénario : Philippa Boyens, Peter Jackson, Fran Walsh,
Alice Sebold (roman)
Distribution : Saoirse Ronan, Mark Wahlberg, Rachel Weisz, Stanley
Tucci
Durée : 136 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 15 Janvier 2010
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