LORDS OF DOGTOWN (2005)
Catherine Hardwicke
Par Frédéric Rochefort-Allie
Tony Alva, Jay Adams, Stacy Peralta et les autres Z Boys avaient un
point en commun. C'étaient tous des enfants issus de la rue, d'un des
pires ghettos de la Californie, qui désiraient se sortir du merdier
qui leur servait de quartier. Aucun ne se doutait de ce qu'il allait
leur arriver en joignant l'équipe de compétition de skateboard du magasin
Zéphyr, alors que la gloire frappait à leur porte. Les grandes compagnies
se jetaient aux pieds des jeunes adolescents pour les inonder de commandites
au point de noyer l'amitié qui régnait entre les membres du groupe.
Si le thème vous semble étrangement familier, c'est que Stacy Peralta
lui-même réalisa un documentaire sur ces belles années, abandonnant
sa grande compagnie de skateboard pour devenir cinéaste. C'est donc
avec tout l'argent amassé à vendre son nom sur des planches et dans
des magazines, qu'il décide aujourd'hui d'en faire un personnage d'une
oeuvre de cinéma. Ses complices pour cette nouvelle aventure: David
Fincher (Fight Club) et Catherine Hardwicke (Thirteen).
Monsieur Peralta s'entoure bien!
Poussant encore le cinéma pour adolescents à un degré supérieur, Catherine
Hardwicke prouve qu'elle n'est pas une one hit wonder qui sera
éternellement associée à Thirteen. Lords of Dogtown respire
les années 70 au point de carrément nous replonger à Dogtown. À tout
ceux qui craignaient un Grind 2, où on fait l'éloge de la superficialité,
les Z Boys s'embarquent dans l'une des meilleures productions estivales
de 2005. Digne fiston de son paternel, Dogtown and Z Boys, le
film fait honneur au sport. Afin d'éviter le déjà-vu, la réalisatrice
a utilisé des véritables planchistes comme cameramans, suivant les acteurs
dans leurs cascades. Elle relève l'exploit de surpasser la réalisation
de son premier film Thirteen en offrant des plans beaucoup plus
riches et vivants, dont certains rappellent les meilleurs moments de
sa première oeuvre. Dans la même esthétique que son film précédent au
niveau de l'image, la caméra sur épaule recrée l'impression d'un documentaire.
Or, ce que suggérait le film de Peralta, son contemporain le démontre.
Le film est loin d'être inutile, c'est même un complément idéal! Son
but premier: l'authenticité.
Pour ce faire, Stacy Peralta et Tony Alva ont eux-mêmes puisé dans leurs
souvenirs pour reproduire en 1 heure et 40 minutes la période qui aura
changé leur vie. À défaut d'avoir un regard objectif, qui de mieux que
deux des vraies légendes pour peindre leur propre portrait? Loin de
se glorifier, les scénaristes se représentent sous tous leurs défauts,
démontrant même de la vulnérabilité. Le scénario de Peralta et Alba
illustre parfaitement la chute du groupe dans le monde des commandites
et le fossé qui se creuse entre chaque membre des Z-Boys. La véracité
compte beaucoup dans ce film et c'est pourquoi de nombreux dialogues
sont extraits directement de la bouche des véritables personnages, des
entrevues du documentaire. Mais l'absence flagrante des Jeff Ho et autres
Z Boys remplacés par un Sid tout à fait fictif demeure un grand mystère
qui pourra choquer plus d'un fan de la véritable bande. Mais n'oublions
pas que c'est une oeuvre de fiction. Le personnage est basé sur un évènement
qui est bel et bien arrivé, donc il faut le voir comme un moyen de recentrer
l'intrigue sur quelques personnages plutôt que sur une bande. Le film
n'en est que plus touchant, et si on ignore la fin qui parait mélodramatique
bien que réelle, les moments émouvants paraissent sincères.
Dans la peau des légendes, on trouve la plus impressionnante distribution
d'acteurs sur la voie de devenir d'importantes stars depuis fort longtemps.
N'oublions pas que Catherine Hardwicke a révélé le talent d'Evan Rachel
Wood il n'y a pas si longtemps. Privilégiant largement les acteurs dans
sa direction générale, la réalisatrice cherche de véritables émotions
plutôt que des caricatures. Pour ces raisons, chaque acteur se surpasse.
Le trio John Robinson (Elephant), Victor Rasuk (Raising Victor
Vargas) et Emile Hirsch (Dangerous Lives of the Altar Boys
et Girl Next Door) sont de véritables révélations et plus particulièrement
Hirsch, car il s'agit de l'un de ses premiers rôles consistants. Ce
sont là trois acteurs en force qui peuvent à eux-mêmes soutenir un film,
ce qui n'est pas tâche facile pour une bande d'adolescents. Puis, s'il
y a deux ans Johnny Depp interprétait Keith Richards avec virtuosité,
cette année c'est Heat Ledger qui joue exceptionnellement bien les Val
Kilmer. Jamais Ledger n'a été si étincelant dans un rôle. Bref, une
distribution de tonnerre pour représenter une équipe de rebelles révolutionnaires.
Le même état d'esprit se manifeste dans la trame sonore où la quantité
de noms importants ne se compte même plus sur les doigts d'une main.
The Clash, Nazareth, Fog Hat, Hendrix, Deep Purple, Iggy Pop, David
Bowie, Black Sabbath et même du Pink Floyd! De quoi donner la nostalgie,
même à ceux qui n'ont jamais vécu dans l'époque. La musique teinte l'ambiance
très 70's et accentue la fluidité du rythme du film. Classiques
après classiques, la trame sonore a le potentiel d'affronter de plein
front Dazed & Confused sur son propre terrain. Aucune trace
de Green Day comme dans l'annonce, ce n'était qu'une stratégie pour
attirer des «skateux».
Finalement, n'ayons pas peur des mots, Lords of Dogtown est un
film franchement cool. Certainement parmi les meilleurs de l'été. Les
Z Boys répondent aux attentes. Avec un plaisir ravageur, ils nous font
faire un véritable voyage dans le temps dont on ne veut pas revenir
de si tôt. Le film de Catherine Hardwicke a le potentiel de faire renaitre
un courant social et sportif. Si seulement j'avais un skateboard!
Version française :
Les Seigneurs de Dogtown
Scénario :
Stacy Peralta
Distribution :
John Robinson, Emile Hirsch, Rebecca De Mornay,
Heath ledger
Durée :
107 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
11 Juin 2005