LORD OF WAR (2005)
Andrew Niccol
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Andrew Niccol construit ses films autour d'un concept. Si le concept
est fort, le film fonctionnera. Son intéressante relecture du
Brave New World d'Aldous Huxley, Gattaca, demeure
un bon film de science-fiction sur le sujet des manipulations génétiques
tandis que son scénario pour le Truman Show de Peter
Weir demeure la meilleure allégorie visionnaire du phénomène
de la télé-réalité que nous ait offert le
cinéma américain. Lorsque que le concept est ordinaire,
le produit final l'est tout autant. Il suffit de revoir son piètre
S1M0NE pour comprendre. Lord of War, d'emblée,
pique l'intérêt. En un seul plan-séquence, le film
de Niccol a capté notre attention: la caméra suivra le
trajet d'une balle d'AK-47, de la manufacture jusqu'à sa victime.
Pour son troisième film à titre de réalisateur,
Niccol nous plonge dans l'univers du trafic d'armes international.
Notre guide, un Américain d'origine ukrainienne du nom de Yuri
Orlov (Nicolas Cage), a fait sa fortune grâce à la chute
de l'empire soviétique. De nouveaux fournisseurs ont envahi le
marché et l'ami Yuri a tout bonnement su tirer profit de la situation.
La grande force de Lord of War est de jouer à fond la
carte de la moralité douteuse. Yuri n'est donc qu'un habile homme
d'affaires, comme le PDG d'une compagnie de tabac ou d'une multinationale
de l'industrie automobile. C'est un commerçant doué qui
exploite un filon prolifique de l'activité humaine. Un honnête
capitaliste ayant flairé la bonne affaire, quoi! Qui plus est,
notre marchand d'armes s'avère être l'incarnation même
du rêve américain: le légendaire self-made man
qui s'est émancipé de sa condition de pauvre immigrant
pour devenir un entrepreneur accompli. Le scénario classique
du land of opportunity, notre petit success story rescapé
des bas-fonds de Brooklyn le connait par coeur.
En fait, l'histoire que nous raconte Niccol dégage d'ailleurs
une forte odeur de déjà-vu. La carrière de notre
spécialiste du commerce international n'est pas sans rappeler
celle des vendeurs de drogue qui ont eu droit à leur lot d'attention
cinématographique depuis les années soixante-dix. Tous
les clichés de ce genre d'histoires sont au rendez-vous: l'enfance
dure, la femme laissée dans l'ombre et le frère impétueux
qui sombre dans l'enfer de la drogue. Mais c'est ce contexte particulier
et fort intéressant qui permet à Lord of War de se distinguer
d'une horde de films récents auxquels il serait autrement facile
de l'associer. En ce sens, Niccol reste fidèle à lui-même
en livrant un film correct qu'un concept intriguant rehausse allègrement.
Finalement, peu importe que l'on nous ait servi les grandes lignes du
film à plusieurs reprises auparavant. Dans son livre Adventures
in the Screen Trade, le célèbre scénariste
hollywoodien William Goldman affirmait qu'un film n'a qu'à offrir
une douzaine de bons moments pour captiver l'audience et lui laisser
une bonne impression à la sortie de la projection. À ce
niveau, Lord of War livre la marchandise. Il faut voir le sourire
radieux de Nicolas Cage lorsqu'il entend le son d'un tiroir-caisse au
rythme des mitrailleuses qui s'anime devant lui, ou l'incroyable spectacle
en accéléré de cet avion grugé en une nuit
par des pillards africains. De bons moments que le film multiplie avec
aisance, grâce entre autre à des dialogues percutants,
à la fois drôles et mordants, qu'une distribution apte
à la tâche s'assure de bien livrer.
À la limite, on pourra reprocher à Cage et Jared Leto
d'être des Russes peu convaincants. Mais dans l'ensemble, Lord
of War fonctionne du début à la fin et propose assez
de ces fameux moments mémorables pour faire oublier son petit
côté légèrement prévisible et convenu.
À défaut d'être véritablement remarquable,
voici un film franchement réussit qui nous tient en haleine du
début à la fin tout en nous proposant par la bande une
réflexion intéressante sur la responsabilité d'un
homme d'affaires ordinaire par rapport aux répercussions de ses
activités. Heureusement, le fascinant protagoniste amoral de
Lord of War est trop occupé à profiter de la
misère des autres pour faire la réflexion à notre
place...
Version française :
Seigneur de guerre
Scénario :
Andrew Niccol
Distribution :
Nicolas Cage, Bridget Moynahan, Jared Leto, Ethan
Hawke
Durée :
122 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
20 Septembre 2005