UN LONG DIMANCHE DE FIANÇAILLES (2004)
Jean-Pierre Jeunet
Par Louis-Jérôme Cloutier
Si Jean-Pierre Jeunet avait déjà depuis fort longtemps
démontré son flair visuel grâce à des œuvres
telles que La Cité des enfants perdus ou Alien Resurrection,
c’est exactement dix ans après son Delicatessen
qu’il a connu une consécration presque unanime. À
la suite du succès du Fabuleux destin d’Amélie
Poulain, il va sans dire que la barre était désormais
très haute et que la critique, tout comme le public, attendait
le prochain projet de Jeunet de pied ferme. Après avoir laissé
retomber la poussière, il revient donc avec Un long dimanche
de fiançailles, film historique et dramatique ayant pour
fond la Première Guerre mondiale et adaptée d’un
livre. Avec son scénariste Guillaume Laurant, un fidèle
collaborateur, il s’attaque donc à un film de grande envergure.
Résultat? Un nouveau chef-d’œuvre à ajouté
à sa prolifique carrière.
Durant la Première Guerre mondiale, sur le front de la Somme,
cinq soldats de l’armée française sont condamnés
à mort pour mutilation volontaire. Parmi eux se trouve Manech,
un jeune bleuet fiancé à Mathilde. Deux ans plus tard,
cette dernière refuse toujours de croire qu’il est mort
et entreprend une recherche afin de découvrir le destin de son
amoureux. Ainsi commence une enquête fort bien construite qui
amène le personnage d’Audrey Tautou à découvrir
peu à peu la vérité sur les évènements
de Bingo Crépuscule, une tranchée nommée ainsi
et d’où les cinq soldats ont été envoyés
dans le no man’s land, la zone qui sépare les
forces françaises et allemandes. Cette recherche est habilement
entrecroisée de scènes de guerre et de flashbacks qui
permettent de lever au fur et à mesure le voile sur les évènements.
Et c’est déjà là l’une des grandes
forces de la plus récente oeuvre de Jeunet, le scénario
est en béton. De plus, outre son maintient d’une rigueur
exemplaire, il offre des situations de drôleries fortes bien insérées
dans le récit et qui atténuent avec justesse l’horreur
qu’apporte cette histoire plutôt sombre. Et fidèle
à sa réputation et à lui-même, Jeunet garde
toujours une place pour la fantaisie. D’autre part, les divers
rebondissements sont bien amenés et le spectateur suit avec grand
intérêt la quête de Mathilde. On peut toujours reprocher
que la distinction entre les divers personnages, particulièrement
les soldats, est parfois difficile à faire tellement ils se ressemblent
tous.
Mais on ne peut qu’applaudir le travail qui a été
fait au niveau des rôles secondaires, tout aussi intéressants
et colorés les uns que les autres. Ainsi, chacun nous marque
d’une façon particulière même lorsque leur
apparition est très brève. Le portrait peint par Jeunet
n’est qu’amélioré par cette attention exemplaire
portée envers ces personnages. Les interprètes, habilement
dirigés, offrent tous des prestations remarquables. Bien sûr,
Audrey Tautou retient de prime abord toute l’attention. Mais si
la qualité de son jeu est toujours aussi grande, il est dommage
que le personnage de Mathilde possède de trop nombreux traits
d’Amélie Poulain. D’ailleurs, Un long dimanche
de fiançailles porte encore l’influence de l’œuvre
précédente de Jeunet que ce soit au niveau de l’analyse
des rapports humains ou simplement par le visuel qui est encore une
fois tout simplement saisissant. Les scènes de guerre sont purement
magnifiques, en plus d’avoir un niveau de réalisme bien
dosé par rapport à une violence somme toute bien contenue.
La recréation de Paris nous transporte totalement à une
autre époque tellement la reconstitution historique nous parait
sans tache.
Enfin, si ce n’était pas déjà assez, la photographie
est somptueuse et provoque l’émerveillement à mainte
reprises. Bref, Jeunet qui nous a habitués à des films
aux aspects visuels incomparables fait encore mouche et offre des images
d’une grande beauté. Rajoutons que son film jouit d’un
montage quasi parfait, d’effets numériques fort bien utilisés
et d’une trame sonore envoutante. On retient tout de même
quelques petits défauts somme toute minimes. Notamment, l’enquête
de Mathilde est quelque peu répétitive par moment alors
que l’héroïne doit faire plusieurs aller-retours qui
se déroulent à un rythme un peu trop effréné.
De plus, la fin nous laisse sur notre appétit et lorsque débute
le générique, on regrette que cette magnifique histoire
n’ait pas duré un peu plus longtemps et que l’émotion
ne fût pas au rendez-vous tel que prévu.
Mais, il a bien peu de choses à reprocher à Jeunet. Après
avoir connu un triomphe international grâce au Fabuleux destin
d’Amélie Poulain, il revient à la charge avec
toujours autant d’inspiration et nous invite à passer un
très beau dimanche de fiançailles. Et de cet accomplissement
ressort un film qui surpasse légèrement son précédent
et qui devient par le fait même l’une des meilleures et
des plus belles productions de 2004, et même des dernières
années. Chapeau!
Version française : -
Scénario : Jean-Pierre Jeunet, Guillaume Laurant, Sébastien
Japrisot (roman)
Distribution : Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Dominique Pinon,
André Dussolier
Durée : 134 minutes
Origine : France
Publiée le : 1er Janvier 2005
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