A LIZARD IN A WOMAN'S SKIN (1971)
Lucio Fulci
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il est intéressant de découvrir que, dans le sillage de
la révolution sexuelle et de l'ère hippie, le thème
des moeurs libres s'est accaparé durant les années 70
l'attention de bien des cinéastes européens; on pense
bien entendu au Dernier tango à Paris de Bertolucci
ou aux Valseuses de Blier, qui révélait en quelque
sorte le versant obscur de la liberté. Ces films ont en commun
le parti pris de mettre en scène des individus qui s'abandonnent
au vice et embrassent leurs perversions, s'émancipant ainsi des
carcans imposés par la société. Comme c'est bien
souvent le cas historiquement parlant, le cinéma de genre va
se positionner à contre-courant en inversant les rôles
et les comportements: les hédonistes deviennent meurtriers dans
les films d'horreur et les utopistes sont transformés en anarchistes
amoraux dans les mondes de la science-fiction. Dans A Lizard in
a Woman's Skin du légendaire tâcheron italien Lucio
Fulci, une bourgeoise fille de politicien refoulant ses pulsions charnelles
et ses désirs les plus obscurs rêve d'assassiner sa voisine,
hôtesse débridée de gigantesques orgies hippies
qui carburent aux drogues hallucinogènes et à la musique
psychédélique. Mais lorsque celle-ci est réellement
tuée, ce fantasme meurtrier se transforme aux yeux de la police
en preuve accablante.
Spécialiste du film gore de dernière zone, Fulci s'est
malgré les maladresses dont fait part sa mise en scène
hissé au rang de figure culte du cinéma trash italien
des années 70. À défaut de filmer bien, il a le
mérite de filmer différemment. Néanmoins, certains
de ses essais auront su obtenir grâce au recul une certaine notoriété
auprès des cinéphiles avertis pour leur inventivité
bancale et inspirée: A Lizard in a Woman's Skin, aussi
connu sous le nom de Schizoid, demeure pour plusieurs raisons son oeuvre
la plus respectée. S'inscrivant parfaitement dans la mouvance
alors naissante du « giallo », ce suspense hitchcockien
à saveur d'exploitation propose plusieurs variations pertinentes
par rapport au modèle que demeure à l'époque le
Bird with the Crystal Plumage (L'Uccelo dalle piume di
cristallo) de Dario Argento. Non seulement anticipe-t-il les obsessions
psychanalytiques des giallo à venir, mais le film de Fulci affiche
avec un cran certain son lot d'excentricités formelles et d'entorses
au bon goût; qui plus est, il y arrive sans mettre en danger son
généreux potentiel ludique, chose dont peuvent difficilement
se vanter ses plus pénibles essais sur la figure du zombie.
Bénéficiant d'une excellente trame sonore signée
Ennio Morricone, A Lizard in a Woman's Skin joue avec brio
la carte du « whodunnit » frénétique où
les suspects se succèdent à un rythme implacable; quiconque
est prêt à embarquer dans cette entreprise de mystification
généralisée sera joyeusement emberlificoté
par Fulci, qui prend un plaisir palpable à manipuler sans remords
son auditoire. Pourtant, ce sont les contorsions constantes de la caméra
qui retiennent le plus l'attention. Tantôt étranges, tantôt
volubiles, parfois même pertinentes au point de vue par exemple
psychologique, elles constituent le point fort d'un film à la
facture visuelle peu conventionnelle. Fulci arrive ici à nous
faire oublier, avec une certaine virtuosité, les moyens limités
dont il dispose; voilà, en quelque sorte, l'ultime enseignement
qu'il a à nous partager. S'il n'égale jamais la force
des motifs d'enfermement propres à Argento, Fulci forme à
partir d'effets au mieux bigarrés quelques séquences oniriques
étonnantes. Ailleurs, un montage alterné particulièrement
appuyé lui permet d'obtenir un effet à la fois comique
et inquiétant; son vocabulaire visuel l'apparente parfois au
De Palma des premiers temps, sans toutefois lui permettre d'égaler
même un Sisters.
Qu'importe, puisqu'à défaut de produire un grand film
Fulci s'affaire ici à échafauder un giallo aussi efficace
qu'il est intriguant à plus d'un niveau. Il y a dans ce ballet
macabre où les dépouilles sans vie et les faciès
déformés des victimes se transforment en peintures expressionnistes
une érotisation malsaine et évidente de la pulsion de
mort. Mais, dans A Lizard in a Woman's Skin, la répression
des pulsions - lesbiennes, meurtrières, hédonistes et
j'en passe - mène inévitablement à une folie que
le réalisateur italien illustre à l'aide de moyens purement
cinématographiques: l'extrême mobilité de la caméra,
l'expressivité exacerbée des comédiens. Comme quoi
par son propos un certain cinéma populaire, voire populiste,
peut rejoindre les préoccupations d'un cinéma autrement
plus respectable et intellectuel. Sur une grande échelle, cette
série b de 1971 n'est qu'une curieuse anomalie aux failles patentes;
en son genre, il s'agit néanmoins d'un petit classique marginal
dont se délecteront avec un égal régal maniaques
et néophytes. Rarement Fulci a-t-il fait mieux.
Version française : -
Version originale : Una Lucertola con la pelle di donna
Scénario : Lucio Fulci, Roberti Gianviti, José Luis
Martinez Molla, André Tranché
Distribution : Florinda Bolkan, Stanley Baker, Jean Sorel, Silvia
Monti
Durée : 103 minutes
Origine : Italie, Espagne, France
Publiée le : 4 Avril 2007
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