THE LIVES OF OTHERS (2006)
Florian Henckel von Donnersmarck
Par Jean-François Vandeuren
Il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Ce dicton bien connu s’applique
étrangement à la façon dont le cinéma allemand
déterre périodiquement son passé national depuis
quelques années, en particulier en ce qui a trait à toute
la problématique entourant la République démocratique
allemande. Cette initiative donna lieu par exemple au doux-amer Good
Bye, Lenin! de Wolfgang Becker et à l’héroïque
Der Tunnel de Roland Suso Richter. L’Allemagne semble
ainsi vouloir exorciser de vieux démons en les confrontant sur
la place publique. Bizarrement, le cinéma a aussi tendance à
se montrer beaucoup plus clément envers l’Allemagne de
l’Est et à s’éloigner volontairement de l’ampleur
du sujet. « Au fond, ce ne fut qu’un dur moment à
passer », semble penser certains. Ce relâchement fait d’autant
plus contraste avec la manière beaucoup plus stricte (difficile
de faire autrement de toute façon) dont le cinéma allemand
médite finalement sur les événements de la Seconde
Guerre mondiale afin de régler ses comptes une bonne fois pour
toute avec l’une des périodes les plus sombres de son histoire.
Les films historiques portant sur ces deux époques abondent depuis
le début du nouveau millénaire. Une fois de plus, c’est
l’Allemagne de l’Est que nous sommes invités à
revisiter à l’occasion de la sortie de ce premier long-métrage
de Florian Henckel von Donnersmarck. Des techniques d’interrogation
des plus épuisantes de la Stasi en passant par une atmosphère
de paranoïa souvent insoutenable, ce dernier nous replonge avec
une rigueur écrasante dans le quotidien de cette partie isolée
de Berlin durant la première moitié des années
80. Le cinéaste s’intéresse plus précisément
au cas de Gerd Wiesler (Ulrich Mühe), un officier de la Stasi assigné
à la surveillance du dramaturge Georg Dreyman (Sebastian Koch)
que l’état soupçonne d’infidélité
envers le parti.
Ce qui frappe dès les premières minutes de The Lives
of Others c’est l’exactitude avec laquelle le cinéaste
allemand dépeint cette période. Von Donnersmarck ne tente
pas de rendre ses personnages plus grand que nature ou de leur faire
traverser des séquences tragiques et héroïques à
n’en plus finir. Le quotidien existait à Berlin-Est et
c’est ce dont s’imprègne avec une remarquable lucidité
The Lives of Others. Le cinéaste allemand traite d’une
manière d’autant plus modeste ce portrait d’un gouvernement
envahissant par le biais d’une mise en scène particulièrement
méticuleuse, laquelle nous ramène continuellement à
ce sentiment de méfiance. Von Donnersmarck confère également
une importance considérable à la création d’atmosphères
grâce auxquelles il recréé cette grisaille ambiante
d’une façon tout à fait prodigieuse sans que celle-ci
ne devienne trop écrasante. Le film ne cherche pas non plus à
rendre gloire à l’Ouest ou à dénigrer complètement
l’essence même du système qui régissait la
RDA. Ainsi, plutôt que de fuir, les personnages de The Lives
of Others tente plutôt de révéler au grand
jour une des lacunes d’un régime avec lequel ils ne sont
pas forcément en désaccord, mais qui en dit néanmoins
long sur le moral de la population vivant à l’intérieur
de ces murs.
Le scénario de The Lives of Others s’avère
également des mieux ficelés et documentés et utilise
de manière formidable l’ironie dramatique tout en plaçant
le personnage de Gerd Wiesler au centre de tous les enjeux du récit.
C’est autour de ce dernier que l’étau se ressert
constamment. Cela donne évidemment lieu à des situations
de plus en plus tendues dont le cinéaste souligne l’urgence
en rendant palpable la charge psychologique que doivent encaisser et
soutenir sans arrêt ses personnages. Le tout est d’autant
plus appuyé par la performance éblouissante d’Ulrich
Mühe, l’ancien protégé de Michael haneke dont
on a pu admirer l’intensité du jeu dans des films comme
Benny’s Video, Funny Games et The Castle.
Son personnage n’a d’ailleurs rien du héros type
et Florian Henckel von Donnersmarck marque son changement de mentalité
beaucoup plus par ses gestes que son comportement. L’interprétation
de Mühe épate ainsi de par sa sobriété exemplaire,
formant un héros réservé à l’expression
impartiale et souvent muette, mais qui laisse néanmoins transparaître
l’état de son esprit en constante agitation tout en réussissant
à le rendre sympathique.
The Lives of Others se veut donc un film sur le courage et
la détermination en temps de crise comme on aimerait en voir
plus souvent. L’effort de Florian Henckel von Donnersmarck ne
nous ramène pas continuellement à la gloire d’un
mouvement et célèbre plutôt l’importance du
geste le plus anodin qui, sans nécessairement mener à
une vague de changements, peuvent permettre aux individus concernés
de célébrer une victoire personnelle sur le plan moral.
La vie est une roue qui tourne après tout. Dans le même
ordre d'idées, plutôt que de terminer son film sur la chute
du mur de Berlin, le cinéaste allemand préféra
continuer encore quelques miles pour souligner hors de tout doute l’appartenance
de son personnage principal à la réalité du quotidien
beaucoup plus qu’aux rouages de la fiction. Après avoir
soutenu cette idée pendant un peu plus de deux heures, le cinéaste
allemand met un point final à son œuvre par le biais d'une
séquence d'une incroyable modestie qui n’aurait pu rendre
plus justice autant à l’essence de son discours qu’à
la force de son protagoniste.
Version française : -
Version originale :
Das Leben der Anderen
Scénario :
Florian Henckel von Donnersmarck
Distribution :
Ulrich Mühe, Sebastian Koch, Martina Gedeck,
Ulrich Tukur
Durée :
137 minutes
Origine :
Allemagne
Publiée le :
24 Octobre 2006