LESLIE, MY NAME IS EVIL (2009)
Reginald Harkema
Par Alexandre Fontaine Rousseau
L'Amérique des années soixante, sa jeunesse révoltée
aux cheveux longs et son rock acidulé semblent déjà
avoir été intronisés au panthéon des grands
mythes de notre époque. La réalité historique de
cette décennie est déjà difficile à distinguer
des récits qu'elle a produit, notamment par l'entremise du cinéma
qui, rapidement, s'est associé à la culture psychédélique
balbutiante pour renouveler une iconographie classique de moins en moins
apte à captiver l'imaginaire collectif. On pense bien évidemment
à Easy Rider, quintessence du road movie rebelle
carburant aux amphétamines et aux hallucinogènes, mais
aussi à des documentaires comme Woodstock qui malgré
leurs racines à même le réel se nourrissent du mythe
et l'alimentent. Sans être une réussite sur toute la ligne,
Leslie, My Name Is Evil du réalisateur canadien Reginald
Harkema remet en question les représentations traditionnelles
de cette période mouvementée du vingtième siècle
tout en puisant ses images directement dans l'imaginaire mythologique
qu'elle a laissé en héritage. Monteur pour Don McKellar
et Bruce McDonald, Harkema met en évidence la construction même
du discours cinématographique; et son film s'assume ouvertement
en tant qu'assemblage d'images que les origines diverses hiérarchisent
et connotent. Leslie, My Name Is Evil est une oeuvre hyperbolique,
riche en propositions formelles ambitieuses qui, sans avoir les moyens
nécessaires pour atteindre ses objectifs, arrive à présenter
les grandes lignes d'un projet formel et intellectuel dans l'ensemble
inspiré.
À partir d'une tragédie iconique de l'ère psychédélique,
soit la série de meurtres perpétrées par les «
hippies dégénérés » de la légendaire
famille Manson, Harkema orchestre un délirant opéra politique
et juridique qui tente en jouant avec les clichés de briser le
mirage culturel commun dont ils sont issus. Les caricatures y sont confrontées
aux archives au moyen d'un montage prêchant parfois par excès
de style, dérapant temporairement de sa quête de sens en
cherchant à produire un impact immédiat, mais où
la fiction est clairement placée en exergue par sa propre démesure
et ne prétend jamais constituer autre chose qu'une représentation
teintée de mythe des faits. Les images de Leslie, My Name
Is Evil affichent donc malgré (ou plutôt grâce
à) leur théâtralité une indéniable
justesse en ce sens où elles admettent d'emblée leur facticité
en l'exagérant par-delà les limites de la simple crédibilité
trafiquée. On ne s'étonne donc pas que les frasques de
la secte soient présentées sur un ton carrément
grand-guignolesque, ou qu'à l'autre extrême du spectre
social le milieu familial dans lequel évolue le jeune Perry (Gregory
Smith) chargé de juger les crimes de la « famille »
soit tout droit tiré d'une série télévisée
des années cinquante. Les références sont claires,
à la limite grossières, mais par le fait même rudement
efficaces. La collision entre l'absurdité de ces caricatures
et la réalité des images documentaires n'en est que plus
cinglante.
Le parcours parallèle de ces deux familles que tout semble opposer
sauf le contexte historique est le moteur de la première moitié
du film, qui s'affaire à nous présenter le fossé
qui peut séparer deux individus contemporains issus de milieux
sociaux pourtant similaires. Mais à un autre niveau Leslie,
My Name Is Evil cherche à présenter le clan Manson
et la famille chrétienne modèle comme étant deux
faces paradoxales d'une même médaille typiquement américaine,
deux formes de fanatisme religieux en lutte l'un contre l'autre. Le
procès, auquel est consacré le second volet du film, agit
donc à titre de confrontation allégorique entre ces deux
univers, sous la forme d'une exhibition publique spectaculaire que le
cinéaste n'hésite pas à transformer en un gigantesque
cirque. La salle d'audience est filmée à la manière
d'une scène, où les acteurs prennent part à un
jeu dont l'issue est prédéterminée; la parodie
du processus légal est mis en scène par Manson et ses
disciples à même le tribunal, leurs actions outrancières
s'inscrivant dans une logique qui tient autant de l'art performatif
que du cinéma à proprement parler. Le film dans l'ensemble
capitalise sur un effet de surenchère similaire, se droguant
aux séquences d'hallucinations démentes et aux juxtapositions
satiriques détonnantes sans se permettre des relâchements
qui auraient pu au final s'avérer bénéfiques au
rythme de l'ensemble.
Car, malgré ses élans grisants d'exaltation créatrice,
Leslie, My Name Is Evil s'avère un film imparfait qui,
à force de vouloir en mettre plein la vue et de tirer à
bout portant sur toutes les cibles s'égarant dans sa ligne de
mire, dilue irrémédiablement sa charge critique. Harkema
s'attaque simultanément au présent et à son rapport
au passé, pige dans ce passé ses arguments contre le présent
et s'amuse à revisiter le passé avec les yeux du présent.
Sa caméra cherche constamment à produire des images fortes,
qui pourront s'entrechoquer violemment dans ce gigantesque montage des
attractions que devait déjà avoir en tête le réalisateur
lors du tournage. Ce faisant, il oublie peut-être de laisser les
scènes respirer un peu par elles-même - imbrique peut-être
trop rapidement les plans les uns dans les autres. En faisant de chaque
plan un tableau qui embrasse à la fois le mythe et son démantèlement,
le cinéaste canadien a produit une oeuvre dense mais légèrement
aliénante condamnée à se contredire dans sa démarche
à force d'en dire trop à la fois. Plus encore qu'à
un film, nous avons affaire à une sorte de dessin animé
déjanté - un Fritz the Cat frénétique
et vif d'esprit sur fond de sexe, de drogues et de rock 'n roll qui
ajoute à la célèbre recette les familles éclatées,
la justice, les sectes et le Vietnam en glissant l'Irak en arrière-plan;
et pourquoi pas en prime l'Afghanistan, la Bible Belt et George W. Bush?
Une certaine confusion règne sans conteste au niveau des idées,
là où la forme se démontre par ailleurs impitoyable.
Version française : -
Scénario :
Reginald Harkema
Distribution :
Kristen Hager, Ryan Robbins, Anjelica Scannura,
Sarah Gadon
Durée :
85 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
23 Octobre 2009