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THE LAST WINTER (2006)
Larry Fessenden

Par Alexandre Fontaine Rousseau

L'ultime symbole de The Last Winter est une boîte de Pandore sommeillant dans un désert arctique, surplombant à la manière du monolithe de 2001: A Space Odyssey un paysage désolé que l'humanité n'a pas encore dominé. C'est une efficace métaphore de la vision alarmiste avancée par le film. Cinéaste engagé ayant choisi la voie du genre pour s'exprimer, l'Américain Larry Fessenden réitère avec son plus récent long-métrage ses inquiétudes - tout à fait justifiées - quant aux conséquences profondes de notre rapport à la nature. Refusant de céder à la tentation de produire un cinéma purement pamphlétaire, Fessenden évite avec une maturité de plus en plus marquée les écueils du film populaire « à thèse »: son écriture, axée sur le développement de personnages complexes, n'est pas monopolisée par la position favorisée et ne sombre jamais dans le panneau du « divertissement à message » simpliste et complaisant. Qui plus est, son approche posée déjoue habilement les conventions du cinéma d'horreur contemporain: Fessenden sculpte de lourdes atmosphères sans presser son récit, l'élément humain précédant la création forcée d'un suspense dans l'ordre de ses préoccupations. The Last Winter reprend les grandes lignes du genre mais l'épure de ses tensions superficielles. Le huis-clos prenant qui découle de cette démarche fonctionne selon les standards conventionnels de l'horreur, provoquant quelques sursauts bien accueillis tout en imposant un climat d'inquiétude soutenu. Mais, à un niveau plus profond, l'auteur de Wendigo raffine avec son nouvel opus un style contemplatif, à la limite du poétique, sans rien sacrifier à l'efficacité du produit final.

Envoyée dans le nord de l'Alaska afin d'évaluer les impacts environnementaux d'un projet pétrolier de grande envergure, une équipe d'experts découvre un écosystème déréglé au-delà de toutes les attentes; les impacts directs du réchauffement climatique ont tempéré l'hiver et affaiblit la glace, tant et si bien qu'il est devenu impossible d'envoyer la machinerie lourde nécessaire à la mise en chantier de l'opération. Bientôt, la division entre les membres de l'expédition s'exacerbe autour d'enjeux écologiques et économiques. Le représentant de la compagnie pétrolière (Ron Perlman) exige du consultant environnemental du projet (James LeGros) qu'il signe un rapport falsifié mais rassurant sur les conditions de la région. Et, lorsque certains membres de l'équipe se mettent à agir de manière complètement irrationnelle, l'emprise aliénante de l'isolation sur l'esprit humain est vite employée en guise d'explication; mais, en réalité, la fonte du pergélisol dégage dans l'atmosphère un gaz intoxiquant qui provoque ces comportements erratiques. La mort étrange d'un jeune technicien confirme l'ampleur de la situation, mais il est déjà trop tard et un accident emprisonne le groupe dans cet avant-poste éloigné de la civilisation.

Dans ce climat tendu qui renvoie bien entendu à The Thing, Larry Fessenden pose les bases d'un jeu de pouvoir fascinant opposant l'esprit pionnier de l'Amérique mythique à un modernisme mou, ici environnementaliste, incapable de s'affirmer face à cette présence autoritaire. En prenant tout le temps nécessaire pour bien camper ses personnages, Fessenden arrive à se détacher de la simple relation d'antagonisme pour créer un terrain propice aux conflits psychologiques plus nuancés. L'opposition entre les personnages de Pollack et Hoffman n'est pas qu'idéologique : leurs intérêts personnels de même que leurs caractères divergents s'entrechoquent constamment, Fessenden se contentant pour sa part de multiplier les points de rencontres entre ces philosophies contradictoires. Il reproche à Pollack son attitude carnassière et à Hoffman son fatalisme, refusant de cibler ses accusations dans l'une ou l'autre des directions. Le seul réel parti pris de sa mise en scène avantage la nature elle-même, illustrée comme une bête puissante et majestueuse capable de rétorquer avec force aux provocations de l'homme.

Tout en prouvant qu'il est possible de produire un film visuellement impeccable malgré un budget limité, Fessenden propose avec The Last Winter un hommage à la beauté des paysages arctiques: sa caméra se perd dans ces abîmes blancs infinis, mêlant l'éblouissement à l'inquiétude lorsqu'elle observe un ciel annonçant les catastrophes à venir. Malgré son rythme lent, le montage de ces séquences exerce une pression étouffante sur le spectateur qui en vient à partager par effet de proximité l'asphyxiante solitude des personnages à l'écran. La tension monte progressivement, de manière très naturelle, et les coups d'éclats de la seconde moitié du film ne brisent en rien cette cadence mesurée qui fait la force de la mise en situation. Même les séquences d'horreur les plus infernales de The Last Winter se déploient avec une funeste tranquillité, les morts étant aussi fréquemment sensibles que violentes. Les effusions de sang sont limitées au strict minimum, le réalisateur américain leur préférant la constance d'une atmosphère lugubre persistante.

La menace dépeinte dans The Last Winter est plus souvent qu'autrement implicite, ce qui confère par la même occasion une aura vieillotte à son style précis et empreint de retenue. Fessenden fait preuve d'une remarquable maîtrise du langage cinématographique et possède sans conteste un flair pour les images fortes: on pense notamment à ces corbeaux picorant des cadavres ou à ces traces de pas s'arrêtant subitement dans la neige fraîche effleurée par un travelling éthéré. Mais c'est le dernier plan du film qui résume le mieux l'apocalyptique vision du cinéaste. L'humanité est-elle condamnée à récolter ce qu'elle a semé? Entre, d’une part, nos pulsions destructrices et notre incapacité à faire des sacrifices – caractéristiques dominantes – et, d’autre part, notre prise de conscience plus désespérée qu'alarmiste, Fessenden n'offre aucune issue optimiste évidente à ce questionnement, mais laisse néanmoins son personnage le plus neutre en suspens, comme pour faire miroiter un espoir fugace à l'horizon. Reste cette certitude tenace et terrifiante qu'en l'espace d'une vie l'état de notre planète s'est gravement détérioré, que la boîte de Pandore est ouverte et qu'en cette période de crise les troubles intestinaux de l'humanité refusent de se résoudre. De son propre aveu, Larry Fessenden est un simple réalisateur de série B troublé par l'état du monde; mais The Last Winter dévoile un auteur oeuvrant librement au sein des paramètres du cinéma d'horreur, s'émancipant avec assurance de ses limitations.




Version française : -
Scénario : Larry Fessenden, Robert Leaver
Distribution : Ron Perlman, James LeGros, Connie Britton, Kevin Corrigan
Durée : 107 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 24 Juillet 2007