LES LASCARS (2009)
Emmanuel Klotz
Albert Pereira-Lazaro
Par Mathieu Li-Goyette
Alors que le Québec a vibré à l'écho médiocre
des capsules Roberge avec Le Cas Roberge: Le Film,
nos cousins français se préparaient à recevoir
Les Lascars en version long-métrage. Basé sur
ces petites capsules d'une minute qui ont aussi déjà passé
à la télévision de chez nous, les sketchs des Lascars
étaient anecdotiques, remplis de personnages toujours changeants
et avaient comme thématique récurrente un mélange
unique entre le hip-hop, le dessin de la rue et les banlieues françaises.
Pas nécessairement politique, mais plutôt politisé,
l'oeuvre des Lascars s'étend sur plus de 60 épisodes
et maintenant aussi sur un long-métrage de grande envergure arrivant
à la suite de Persepolis et de Valse avec Bachir.
L'imminence politique qu'obligent ceux-ci fait certainement parti des
attentes du film de Klotz et Pereira-Lazaro et, bien que cet aspect
soit une des faiblesses du film, il est difficile de ne pas s'urger
à prendre le recul nécessaire pour déjà
comparer la démarche de l'équipe de création à
celle du chef-d'oeuvre de Bakshi, Fritz the Cat. Irrévérencieux,
se foutant de la gueule d'environ tout ce que l'on nomme autorité,
misogynes et pervers à souhait, les lascars sont des ramassis
de stéréotypes bien assemblés qui cassent la baraque
de la bonne conduite et fait des voyous des anti-héros à
la recherche des bonnes valeurs.
Petites pestes, la force des personnages de l'équipe Lascars
est en fait une conscience les permettant de tracer les limites d'un
comportement auto-destructeur. Démagogiques, il n'empêche
aucunement que leur laisser-aller s'avèrent synonymes d'une liberté
provisoire contre laquelle ils essaient tant bien que mal d'échapper
dans un quotidien rempli de policiers et de trafiquants de drogues cherchant
vengeance. Ils ne veulent que faire la fête après tout,
pour les en empêcher? Certainement juste (ou du moins donnant
la profonde impression de l'être) sur les milieux de la rue cités,
Les Lascars s'articule autour du triangle bien cohérent
entre Jose, Clémence et le père de celle-ci. Lorsque ce
dernier, juge prestigieux à la grande maison ancestrale et au
petit chien névrosé, décide de partir en vacances,
Jose se voit offrir la possibilité de faire un peu pognon en
rénovant la demeure tout en charmant au passage la jolie jeune
fille interprétée par Diane Kruger. En parallèle,
Vincent Cassel prête sa voix à Tony Merguez, prisonnier
de sa copine possessive et pourchassé par un gang qui lui avait
confié la mission de faire passer quelques kilos de marijuana.
Habité par une multitudes de personnages issus de la série
originale, le récit de Lascars s'éparpille dans
toutes les directions, dans tous les quartiers de l'espace définit
régulièrement par le film jusqu'à converger dans
la finale à la grande fête qui met un point final et bien
heureux à l'opus.
À savoir maintenant si la comparaison avec Fritz the Cat
tient la route, elle s'y prête bien dans son approche du cartoon,
mais difficilement dans le renouvellement des formes narratives et expressives.
Et pendant que l'animation est léchée et que le graphisme
3D soit particulièrement intéressant (l'animation des
voitures et des éléments du décors devenant plus
malléables), la technique permet de jouer avec la profondeur
de champ plus explicitement. Sur l'avant-plan (celui des personnages
et des figures de caméos), il manque au moins un certain trait
aléatoire pour rendre l'esprit dopé du produit fini. Exécutant
à merveille l'iconographie hip-hop (qui, j'en conviens, est l'aspect
le plus libérateur de l'oeuvre), le déchaînement
promis lors d'un générique d'ouverture renversant n'arrive
pas à allé chercher le plus fort de son potentiel dans
une caractérisation des personnages (ils sont nombreux, donc
doivent être singuliers) qui fonctionne correctement avec le caractère
qui leur est incombé. Accompagné d'un récit qui
s'embourbe un peu dans son classicisme, mais dont la linéarité
passe inaperçue aux côtés de l'humour délicieux
mis de l'avant par des situations rocambolesques mêlant burlesque,
blaxploitation, film de « stoner » et
des scènes dignes de la comédie policière, on fait
référence à des scènes et non des sketchs,
à du montage et non du vidéo-clip. La différence
entre Les Lascars: « Le film » et Les Lascars
est monumentale et présente un des aspects les plus réussis
du film qui multiplie la durée de son produit original.
Pour ce faire, scènes de montage muettes, pauses dans le récit,
réflexion, réorientation, le côté cinématographique
apporté par l'expérience de Klotz et Pereira-Lazaro façonne
un produit éparpillé et permet de concentrer les efforts
d'un personnage donné dans le sens du film comme expérience
narrative juste et efficace. On plonge dans les racines du hip-hop français
et de la culture de la rue, la rythmique des lascars qui est celle de
Lucien Papalou, la cadence de l'animation qui est celle de la mesure
d'un montage très musical. Les Lascars élève
le préjugé populaire des individus de banlieues vers une
finale remplie d'honnêteté pour ces êtres déplorables,
mais qui ont la bosse des affaires après tout et savent s'amuser.
C'est l'indicatif d'une progression en partant de La Haine
de Kassovitz jusqu'au film de Klotz et Pereira-Lazaro. Les deux avec
Vincent Cassel, l'un d'une forte esthétique réaliste et
l'autre parodique et éclatée à souhait, la marche
est haute et nous donne des nouvelles du pays. Simplement politique
par sa production elle-même, il n'est pas question de panache
ni de prétention à se voir activiste et réactionnaire.
Il emprunte plutôt la même nonchalance en rapport au sujet
controversé qu'il aborde comme mode de vie. Regarder ces bas-reliefs
contemporains s'animer au déplaisir de l'autorité et des
bonnes manières est peut-être le plus beau du film. La
liberté d'expression, le détournement des stéréotypes
sur les banlieues françaises véhiculées par les
médias, il n'y a rien de proprement révolutionnaire, mais
devant le travail bien fait et le rire soutenu, inclinons-nous et rejoignons
la fête des Lascars.
Version française : -
Scénario : Alexis Dolivet, Eldiablo, IZM, Emmanuel Klotz
Distribution : Vincent Cassel, Diane Kruger, Frédérique
Bel, Hafid F. Benamar
Durée : 96 minutes
Origine : France, Allemagne
Publiée le : 24 Juillet 2009
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