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LADY JANE (2008)
Robert Guédiguian

Par Mathieu Li-Goyette

Drame connu, drame répété, maintenant plus souvent parodié, la perte d’un proche précédant une effusion de sang et de folie excusée par la vengeance est presque chose commune. Le désir de vengeance représenté comme le désir le plus extrême chez l’homme s’accompagne toujours d’une cause noble ; « oeil pour oeil, dent pour dent » ayant au cinéma un manichéisme souvent dissimulé sous les traits du «pauvre» protagoniste. Fidèle à sa longue tradition de penseur du sud de la France, Robert Guédiguian délaisse la critique sociale et familiale pour aller chercher dans sa Lady Jane les marques de commerce du polar, les références au film noir et à l’écriture française des années 50, époque d’un nouveau classicisme d’après-guerre. Je ne veux pas dire par là le cinéma de Melville (auquel plus d’une comparaison semble être lancée en l’air), mais bien à l’écriture, le développement scénaristique d’Aurenche et Bost: la manière empreinte de bonhommie et d’ironie d’entreprendre la montée dramatique. Ne sachant peut-être plus où donner de la tête après la récente crise du cinéma français (encore en cours diront certains), voilà le film d’un cinéaste fatigué de voir son cinéma national gangréné par mille et un maux et ne désirant, par-dessus tout, concevoir qu’une oeuvre à la mémoire de l’âge d’or cinématographique de son pays dont il s’est auparavant ponctuellement déclaré d’influence de méthode et de préoccupations.

Polar pour faux nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pour la plupart jamais connue, Lady Jane déplace les figures poussiéreuses de Simon, Gabin, Fresnay, Delon et compagnie en Provence contemporaine alors que tous ces attirails de criminels sont rangés. Le monde est d’un étourdissement si angoissant que même les gangsters auront raccroché leurs imperméables obscurs aux porte-manteaux. Toujours équipé d’acteurs et amis qui le suivent de film en film, Guédiguian les glisse maintenant dans la peau d’une gangster quinquagénaire, Muriel, propriétaire d’une boutique de luxe nommée Lady Jane (surnom d'une reine d'Angleterre du XVIe siècle si lien il y a) et accompagnée de deux acolytes, François et René. En tant qu’ancien trio de robins des bois du sud, un souvenir flou semble malmener la cohésion du groupe à la retraite: la décision meurtrière d’une soirée d’autrefois où Muriel aurait abattu de sang froid un homme d’affaires. Rangée depuis de nombreuses années et mère d’un fils typé, l’actrice Ariane Ascaride interprète de façon touchante cette vieille criminelle aux traits ridés et à l’honneur impunément flétri lorsque son fils se voit kidnappé. Démunie et étrangère au milieu, faible et non plus meurtrière, Muriel doit faire appel à ses compagnons d’armes pour trouver un stratagème qui lui rendra son fils et qui la vengera de l’escroc qui ne savait visiblement pas à qui il avait affaire.

Lorsqu’au coin d’une pièce l’on aperçoit l’affiche de Dirty Angels avec Cagney et Bogart, lorsqu’on associe le crime au rock n’ roll diabolique dans des tours de passe-passe musicale quelques fois douteux, l’on se sent bien dans le climat insensé de la post-prohibition où les figures du crime sont plâtrés dans le décor ne laissant plus qu'aux jeunes loups du temps l’occasion d’agir en fonction de leurs mentors ; un film de et pour l’âge d’or. Une fois la provocation lancée, la spirale infernale débute où chaque découverte de Muriel la rapprochera de la vérité, mais aussi de l’inévitable assassinat froid, presque gratuit, de son fils sous ses yeux. Meurtrier mystérieux démasqué dans une bifurcation faible du scénario à la toute fin, Lady Jane ne présente à tout le moins que des performances dignes de mention ainsi qu’une mise en scène fort consistante du vieillissement des criminels et de leur paranoïa. Ils ne sont plus les espions ou les contractants, mais plutôt les traqués et les cibles d’un tueur choisissant le cellulaire pour avertir de ses déplacements et intentions. Malmenés par l’objet technologique, Muriel et compagnie en viennent à questionner la légitimité de la vengeance dans une scène exécutoire tenue dans une salle de classe abandonnée ; une leçon de vie pour vieux adultes. Mené par des dialogues incisifs, des contrastes sonores et visuels jouant continuellement sur l’intérieur et l’extérieur des lieux et des perspectives et une composition intentionnellement nostalgique, Guédiguian manie la fureur traumatique de la mort, le débalancement d’une ville paisible d’Aix-en-Provence qui sert de labyrinthe à des anti-héros continuellement plus nerveux.

Le scénario est rempli d’ambiguïtés brillantes sur l’intention initiale de Muriel lors du premier assassinat (faisant de son crime « un » crime), et d'autres parfois plus maladroites (quant au refus d’achever l’assassin de son fils, par exemple). La boucle de l’œuvre reste perpétuellement coincée dans un entre-deux regrettable et lassant ne nous permettant que rarement une certaine concordance avec le récit, et l'on se voit donc régulièrement s'évertuer à y trouver un attachement quelconque. Mal dosé, mais en bout de ligne manquant énormément de données, Lady Jane est ironiquement à l’image de l’enquête provençale qu’il propose en tentant d’expatrier tout engouement face à la violence. Par le biais de personnages d’une acuité certaine, mais d’une action invisible et d’un attachement trop distant à la morale humaniste, l'idéal qu’il aurait dû nous faire entendre, à savoir que la vengeance rend parfois plus aveugle que l’amour, tombe à plat à deux pas de la salle. Héritière d'Édouard VI et reine d'Angleterre le temps de neuf jours (qui en fait le plus court règne de l'histoire de la monarchie anglaise), la métaphore historique à moitié assumée permettra, à l'extrême, d'y voir le règne d'une grande dame dont le petit moment d'existence normal et honorable fut rapidement troublé par le mal qu'elle avait elle-même semé entre la métis vengeresse et la passion maternelle. Les deux pôles extrêmes se percutent pour le meilleur et pour le pire dans un dogme final lancé au hasard en exergue ; méthode bien simpliste de la part d’un cinéaste dont le touché particulier échoue à présent visiblement son exportation vers l’arène sans pitié du cinéma de genre.




Version française : -
Scénario : Robert Guédiguian, Jean-Louis Milesi
Distribution : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Yann Trégouët
Durée : 104 minutes
Origine : France

Publiée le : 22 Octobre 2008