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THE KITE RUNNER (2007)
Marc Forster

Par Louis Filiatrault

Il serait facile de qualifier The Kite Runner, adapté du roman best-seller de Khaled Hosseini, de « fondamentalement honorable ». Après tout, le film s'inscrit parmi ces rares productions occidentales se préoccupant de lever le rideau sur une réalité étrangère, ici l'Afghanistan d'avant et d'après l'invasion soviétique, ainsi que l'émotion propre à l'exil. Mais le voile des bonnes intentions cache souvent la condescendance, la facilité ou simplement la bêtise, et le dernier film du réalisateur Marc Forster tombe dans tous les pièges imaginables: autant que d'autres s'affairent à s'approprier la mythologie ancienne ou les célèbres marques de commerce, Forster filtre l'histoire persane récente à travers une vision du monde paternaliste et binaire, s'efforçant de renforcer le caractère « édifiant » de son matériel par toutes les bassesses possibles. Le public et la critique bien-pensante mordent à l'hameçon, tandis que subsiste l'incompréhension.

The Kite Runner embrasse le parcours d'Amir, fils d'un intellectuel progressiste, ainsi que son rapport à son serviteur et ami d'enfance, Hassan. Initialement peu agressif, Amir se développe une habileté pour les batailles de cerfs-volants, son camarade possédant quant à lui le don de prévoir le point d'atterrissage de ceux-ci, une fois leur fil coupé. Mais les talents complémentaires des deux garçons mèneront à la colère d'un jeune sympathisant nazi et de sa bande, qui infligeront des traumatismes profonds à l'un d'entre eux. Séparé de son ami par l'arrivée des Russes (les maîtres pouvant se permettre de fuir), Amir connaît une existence nouvelle aux États-Unis, où il s'exerce comme marchand et peaufine ses talents d'écrivain. Mais rendu à l'âge adulte, des nouvelles terribles forceront son retour en terre natale et révèleront des liens insoupçonnés entre lui et Hassan, encourageant le héros à « trouver un moyen d'être bon à nouveau » (slogan publicitaire du film).

Cherchant de toute évidence à s'imposer en tant que nouveau Spielberg (notamment par son étonnante productivité ainsi que par ses essais dans une variété de tons dramatiques), Marc Forster aspire à « parler le langage universel des émotions », mais néglige par le fait même de faire montre d'humilité ou simplement de curiosité face à son sujet difficile. Le recul historique aidant, il s'affranchit de la tâche de documenter la réalité locale et choisit de fabriquer de toutes pièces un Afghanistan contrôlé, générique, resserré autour de personnages élus par les dieux puis frappés par le destin. Rigide, appuyée, la mise en scène de celui qui avait su tirer des prestations ennuyantes de Emma Thompson et Dustin Hoffman dans Stranger Than Fiction prétend s'effacer au profit des personnages mais, en les contraignant dans l'espace et en limitant leur expression à des répliques machinales, produit en fait l'effet contraire, affichant ses rouages et la lourdeur de son élaboration. Il en résulte une impression désagréable de manipulation qui finit par se traduire en grossièreté pure et simple, dans le traitement simpliste des bouleversements psychologiques et des revirements du récit.

Mais la logique hollywoodienne de Forster (et sans doute aussi du réfugié Hosseini) s'exerce à d'autres niveaux encore: les parties de cerfs-volants, filmées telles des batailles interstellaires, apparaissent moins comme une célébration de l'« innocence » de l'enfance que comme un déploiement technique excessif et déplacé dans le contexte (en plus de constituer un sport à l'éthique discutable en soi, jamais abordée ici bien sûr) ; les « gros méchants » de l'histoire sont caractérisés, dès l'âge de neuf ou dix ans, comme des sadiques violeurs homosexuels, et le dénouement dramatique s'effectue par le biais d'une courte séquence d'évasion étonnamment violente, dont l'esprit n'est pas sans rappeler celle du tout aussi méprisable Midnight Express d'Alan Parker ; finalement, il ne faudrait pas manquer de souligner la distinction primitive établie, comme si elle relevait de l'évidence pure, entre l'Afghanistan, terre maudite et sans espoir où règnent les diaboliques talibans, et l'Amérique, berceau d'accueil dont l'intégration semble la seule solution viable à la terreur. La mentalité s'étend jusqu'à la distribution « islam all-star » (aperçue dans Crash, United 93...), de laquelle ressort tout de même Khalid Abdalla, bien choisi bien que peu expressif dans le rôle d'Amir, ainsi que le charisme et la dignité de Homayoud Ershadi, déjà excellent dans le chef-d'oeuvre d'Abbas Kiarostami, Le Goût de la cerise. Ceci dit, l'une des seules intelligences de Marc Forster à la réalisation se situe dans le respect de la langue d'origine des protagonistes, alternant avec l'anglais de façon somme toute fluide ; il fait déjà à cet égard preuve de plus de discernement que son compatriote Rob Marshall, qui faisait tourner en anglais des Chinoises dans le rôle de Japonaises il y a quelque temps, dans le tout aussi mystificateur Memoirs of a Geisha...

En tout et pour tout, The Kite Runner apparaît comme un film au traitement très lourd, mais surtout étonnamment dépourvu de qualités humaines, malgré la gravité et l'émotion très intense de son récit mélodramatique, dont les enjeux psychologiques s'avèrent pourtant prédominants. Les tribulations du personnage d'Amir apparaissent maladroitement schématiques, tracées de gros traits, et perdent ainsi en relief. Les séquences du retour au pays dévasté n'ont quant à elles rien à envier au pourtant malhabile et techniquement pauvre Un dimanche à Kigali, qui parvenait tout de même à traduire une tristesse très sincère. C'est sans parler des passages centraux aux États-Unis, d'un ennui et d'une lenteur mortels, et ce malgré les développements importants qui y prennent place. Seules ressortent certaines qualités techniques plutôt insignifiantes en bout de ligne, ainsi qu'une poignée de leçons de morale et de tolérance qui ne s'en trouvent pas moins légèrement contredites par le manichéisme manifeste et l'obscurantisme culturel proposés par Marc Forster. En somme, un film possédant tout le raffinement et la sensibilité attendus de la part du réalisateur du prochain James Bond...




Version française : Les Cerfs-volants de Kaboul
Scénario : David Benioff, Khaled Hosseini (roman)
Distribution : Khalid Abdalla, Atossa Leoni, Shaun Toub, Zekeria Ebrahimi
Durée : 128 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 12 Mai 2008