KINGDOM OF HEAVEN (2005)
Ridley Scott
Par Frédéric Rochefort-Allie
Dans ce monde où Dieu fait encore couler du sang, où même
le président des États-Unis emploie le terme croisade
pour désigner le massacre qui se perpétue entre l'empire
occidental et celui du moyen-orient, le dernier film de Ridley Scott
n'apparait pas innocemment dans le décor. Comme depuis quelques
années Monsieur Scott a semblé plutôt en faveur
des Américains avec la patriotisme de Black Hawk Down,
il aurait été normal de penser que Kingdom of Heaven
baise les pieds de l'administration Bush et serve de propagande anti-musulmans
à grands coups de «Alleluia, praise the lord and god
bless us!» Mais il n'en est pas ainsi, car Kingdom of
Heaven dénonce la guerre et ne la glorifie pas.
Suite au décès de sa femme, Balian d'Ibelin décide
de joindre son père (Liam Neeson) aux Croisades. Une guerre gigantesque
se déclenchera aux murs de Jérusalem pour savoir qui des
deux super-puissances dominera l'autre.
Outre défendre le peuple, la mission première de Bailan
est une quête de sens mystique. Tourmenté par la perte
de sa famille, Bailan devient agnostique et questionne cette guerre
dans laquelle il doit prendre part. Dans un genre aussi saturé
que l'est le film de capes et d'épées, genre qui fut propulsé
par Ridley Scott lui-même avec Gladiator, il est rare
d'en voir un qui ne présente pas d'opposition clair entre le
bien et le mal. Rien n'est noir ou blanc, tout est gris. Garni de messages
critiques fort savoureux à l'égard des deux religions
opposées, Kingdom Of Heaven est un peu froid au niveau
émotif. Comme l'a confirmé lui même Ridley Scott,
son film fut coupé d'environ une heure. La petite étincelle
de vie nécessaire est plutôt absente chez les personnages,
parce qu'on ne leur a pas laissé le temps de se développer.
Le surplus de personnages (un peu trop) secondaires nous éloigne
de Bailan, qui pourtant devrait être au centre des préoccupations
du film. Gageons que bon nombre des scènes coupées étaient
probablement les plus critiques, sinon les plus révélatrices
à propos des personnages.
Le petit hiatus dans cette histoire, c'est qu'il est franchement ridicule
de voir des Musulmans parler anglais entre eux quand simplement placer
des sous-titres aurait pu suffir. Il en va de même pour les Français.
Puis, au niveau du respect historique, si l'ensemble va, n'ignorons
pas que le personnage de Liam Neeson n'a jamais existé et que
Balian lui-même serait mort avant cette aventure. Bien entendu,
les faits sont manipulés pour raconter une histoire et c'est
pourquoi on ne peut vraiment reprocher au scénario de William
Monahan de surfer sur certains faits.
Bonne nouvelle, Orlando Bloom a murit ! De Troy à Kingdom
of Heaven, l'acteur a appris un peu des dures critiques faites
à l'égard de sa minable interprétation de Paris.
Sans foudroyer d'un génie soudain, il réussit à
s'établir une certaine crédibilité et une certaine
présence à l'écran, c'est un bon début.
Quoique si Orlando Bloom cherche à vraiment s'établir
comme une star de cinéma, il devra troquer son épée
ou son arc pour d'autres habits plus modernes. Autrement, nous pourrions
lui prédire une fin de carrière plutôt brusque.
Dû encore probablement aux coups de ciseaux de la 20th Century
Fox dans l'oeuvre de Ridley Scott, Bloom a peine à se démarquer
quand l'ensemble de la distribution chausse de bien plus grands souliers.
Jeremy Irons et Liam Neeson sont deux monstres sacrés avec qui
la notion de partage à l'écran est inexistante, et même
Edward Norton, pourtant caché derrière un masque, ne manque
pas de capter toute l'attention. Regrettablement pour Orlando Bloom,
le tremplin qui lui fut offert aura profité à la lumineuse
Eva Green à qui on devrait d'ici là ouvrir toutes grandes
les portes de la renommée.
Toujours reconnu pour son véritable bonbon visuel, Ridley Scott
n'échappe toujours pas à la règle et nous offre
ici un très grand déploiment visuel. Plus pertinante que
Black Hawk Down et Hannibal, la réalisation
n'échappe pas à certaines comparaisons plutôt évidentes
avec Gladiator et Lord of the Rings. La bataille finale
d'ailleurs rappelle vaguement le massacre à Helm's Deep dans
Two Towers. Le spectateur s'attend presque à voir Orlando
Bloom décrocher une flèche, mais en vain. Toujours friande
de son nouveau joujou, la shaky cam comme elle se fait affectueusement
surnommer, Ridley Scott aurait pu laisser tomber ce superflu et trouver
une signature visuelle particulière comme il le fit dans son
âge d'or des Alien et Blade Runner. Même
la musique, signée Harry Gregson William, agit comme subtitut
à du Hans Zimmer (Gladiator). Pourtant, cette trame
sonore est beaucoup plus subtile et soignée que ce qu'il offrit
dans The Rock et fait un pont fantastique entre les deux religions,
alliant choeurs chrétiens à la musique arabe.
Sans avoir le rayonnement de Lord of the Rings et l'impact
de Braveheart, Kingdom of Heaven prouve tout de même
que le citron des films épiques n'est pas encore totalement pressé
et qu'il y a encore un peu de jus à soutirer. Si ce dernier prend
une saveur critique à l'égard de la politique actuelle,
tant mieux. Si le cinéma peut encore provoquer et amener le public
américain à remettre en question les motifs de leur guerre,
ce sera encore plus profitable, mais il est assez ironique que les frères
Scott s'opposent à la guerre, quand ces derniers ont servi des
fins propagandistes. L'absence de plus d'une heure de film est dérangeante
et Kingdom of Heaven tel qu'il est semble être le résumé
d'un film bien mieux construit. Pour l'une des rares fois dans l'histoire
du cinéma, il faudra surement attendre la version dvd pour véritablement
s'attaquer au film de Ridley Scott, et non au remontage de la 20th Century
Fox.
Version française :
Le Royaume des Cieux
Scénario :
William Monahan
Distribution :
Orlando Bloom, Liam Neeson, Eva Green, David Thewlis
Durée :
145 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
15 Mai 2005