JUNIOR (2008)
Isabelle Lavigne
Stéphane Thibeault
Par Jean-François Vandeuren
Si le hockey soulève les passions au Québec, au point
de devenir carrément une religion pour certains amateurs, il
est également la source de nombreux débats de société
- à commencer par la fameuse polémique entourant le salaire
des joueurs. Les équipes professionnelles n’hésitent
d’ailleurs plus à débourser plus de vingt fois la
rémunération annuelle d’un médecin pour s’assurer
les services de l’un des membres de cette élite sportive
dont la tâche n’est pourtant que de glisser une rondelle
de caoutchouc noire au fond d’un filet. Récoltant la gloire
auprès d’un public qui ne se gênera pas pour réclamer
leurs têtes à la suite d’une contreperformance, ces
athlètes ont en soi tout des gladiateurs modernes. Mais au-delà
du succès et des questions d’argent, nous avons tendance
à oublier l’immense charge de travail ainsi que tous les
sacrifices qu’exige une telle profession. Ce ne sont évidemment
pas tous les joueurs qui sont nés avec le talent, la détermination
et la force de caractère nécessaires pour se frayer un
chemin jusqu’à la Ligue nationale. D’autant plus
que la perspective d’une telle carrière implique des choix
de vie qui devront être faits très tôt dans le cheminement
personnel et professionnel de l’aspirant hockeyeur, lequel devra
se soumettre à une discipline de fer, et donc renoncer aux nombreux
excès d’une jeunesse normalement constituée, s’il
désire entretenir un rêve que peu seront réellement
en mesure de réaliser.
La vie d’un athlète professionnel n’est évidemment
pas qu’une partie de plaisir et a elle aussi son prix. Mais le
jeu en vaut-il vraiment la chandelle? C’est indirectement sur
cette question que se penchent au départ les cinéastes
Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault avec Junior. Le
sport professionnel demeurant un milieu particulièrement fermé,
le duo se tourna vers les rangs mineurs pour dresser un portrait sensible
et lucide d’une discipline autour de laquelle gravitent encore
énormément d’idées préconçues.
Les deux cinéastes infiltrèrent ainsi pendant un an les
coulisses de la Ligue de Hockey Junior Majeur du Québec en se
mêlant aux membres de l’organisation du Drakkar de Baie-Comeau.
Le malheur des uns fit véritablement le bonheur des autres dans
ce cas-ci alors que Lavigne et Thibault eurent la chance de pouvoir
observer de très près les dessous d’une équipe
aux prises avec plusieurs problèmes internes l’empêchant
d’atteindre son plein potentiel et d’accumuler les victoires
à un rythme satisfaisant. Junior rapporte ainsi d’une
manière franche et pertinente ce moment décisif où
le hockey devient beaucoup plus qu’un simple jeu pour ces athlètes
tout en traitant de façon respectueuse le travail des entraîneurs
les accompagnant dans le dernier droit de leur apprentissage, lesquels
seront toutefois gênés ici par les nombreuses lacunes d’un
projet de reconstruction particulièrement laborieux. Une situation
qui ne sera évidemment pas facile à gérer à
l’intérieur d’un marché aussi limité,
ce qui forcera du coup l’organisation à traiter d’une
manière parfois intransigeante ces jeunes recrues aux nerfs encore
extrêmement fragiles.
Heureusement, les deux cinéastes ne cherchent jamais à
faire de ces joueurs des victimes d’un système charognard
ou à présenter les dirigeants de l’équipe
comme des êtres froids et antipathiques. Le duo fait d’ailleurs
particulièrement bien la part des choses à ce niveau en
plaçant habilement ces derniers dans une position plutôt
délicate, entre leur dévouement au bon développement
de leurs élèves et leurs responsabilités face à
la population locale et aux actionnaires de l’équipe, mais
aussi à eux-mêmes. Lavigne et Thibault souligne également
de belle façon que le hockey, tout comme n’importe quel
autre sport d’équipe, n’est pas qu’une question
de performance physique, mais aussi de force et d’endurance psychologiques.
« La dureté du mental » comme le disait si bien Marc
Messier dans Les Boys de Louis Saïa. Les deux cinéastes
rapportent ainsi avec énormément d’empathie la situation
de ces adolescents voyant leur passage à l’âge adulte
s’effectuer de façon précipitée, captant
subtilement leurs réactions face à tous ces changements
en mettant principalement l’emphase sur leur (in)capacité
à composer avec la pression venant autant de leurs proches que
des supporteurs, de leurs agents et de l’organisation dont ils
portent les couleurs. Lavigne et Thibault eurent d’ailleurs la
brillante idée de concentrer entièrement leur regard sur
l’intérieur des vestiaires, des bureaux et des salles de
conférence où se joue véritablement l’avenir
d’une équipe et de ses membres en n’insérant
aucune séquence de jeu à proprement parler dans la dynamique
de leur film.
Le documentaire d’Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault
porte donc un regard réfléchi et profondément humain
sur les dessous d’un sport et d’une industrie que nous n’analysons
bien souvent qu’en surface. Le duo soulève ainsi d’une
manière modeste, mais néanmoins sentie, qu’au-delà
de la gloire et des sommes d’argent astronomiques qui lui sont
rattachées se trouvent des individus bien déterminés
à faire tout ce qu’il faut pour jouer un jour dans la cour
des grands et laisser leur marque dans un milieu où la compétition
est de plus en plus féroce. Misant sur une approche visuelle
et narrative assez similaire à celle du cinéma direct,
le duo laissa judicieusement les acteurs de ce microcosme évoluer
à leur propre rythme sans jamais intervenir dans le cours des
événements par le biais d’une narration en voix-off
ou d’entrevues plus formelles qui auraient pu favoriser l’un
ou l’autre des deux partis. Si Junior ne tente en aucun
cas de décourager les aspirants hockeyeurs de prendre part à
une telle mascarade, il expose néanmoins avec tact et retenue
les craintes et les angoisses de ces adolescents à qui l’on
demande d’être irréprochables autant sur la glace
que dans la vie de tous les jours. Lavigne et Thibault vont ainsi au-delà
de la performance sportive pour effectuer un portrait plus personnel
et substantiel d’une discipline dont ils soulignent abondamment
les nombreux risques du métier sans nécessairement chercher
à lui faire perdre de son lustre.
Version française : -
Scénario :
Isabelle Lavigne, Stéphane Thibault
Distribution :
Benjamin Breault, Michel Morissette, Alex Lamontagne,
Ryan Lehr
Durée :
96 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
5 Mars 2008