JUDE (1996)
Michael Winterbottom
Par Jean-François Vandeuren
Jude est la première de deux adaptations des écrits
du romancier Thomas Hardy pour le Britannique Michael Winterbottom,
précédant un The Claim à peine moins consistant,
même si techniquement plus compétent, qu’il signera
quatre ans plus tard. Les problématiques soulevées par
les deux efforts sont d’ailleurs similaires sur bien des points.
Winterbottom nous expose dans les deux cas à la quête d’un
avenir plus prospère d’un protagoniste hanté par
des erreurs du passé. Dans le présent effort, le cinéaste
nous transporte en Angleterre, à la fin du XIXe Siècle,
pour nous faire connaître les désirs d’ascension
sociale d’un jeune homme issu d’une région campagnarde,
Jude (Christopher Eccleston). Malheureusement pour lui, l’échec
de son premier mariage lui mettra constamment des bâtons dans
les roues. Jude tentera malgré tout de réaliser son rêve
d’étudier dans une université réputée
et de vivre un amour des plus complexes avec une cousine éloignée
(Kate Winslet). Ayant eu des enfants avec cette dernière en dehors
des liens sacrés du mariage, le couple devra constamment partir
à la recherche d’une région où leur secret
est encore inconnu, effaçant peu à peu les projets d’avenir
d’un Jude qui finira par se contenter de petits boulots pour joindre
les deux bouts.
Jude apparut à un moment durant la deuxième moitié
des années 90 où les drames historiques et d’époque
sortaient à la pelle. Toutefois, ce ne sont pas les figures héroïques
ni l’abondance de costumes dignes d’un oscar ou les batailles
sanguinaires qui intéressèrent Michael Winterbottom. Ce
qui fascina le cinéaste, et il s’agit d’ailleurs
d’une thématique récurrente de sa filmographie,
ce sont plutôt les différentes sources d’oppression
sociale, la religion dans ce cas-ci, auxquelles doivent faire face les
être humains. Si visuellement Jude ne révèle
pas encore tout à fait la signature de Winterbottom, la mise
en scène de ce dernier demeure néanmoins extrêmement
méticuleuse. Bien que singuliers, ces élans atteignent
tous la cible et la force de certains détails se voit souvent
décuplée à mesure que le film progresse. Les efforts
suivants de Winterbottom prouveront d’ailleurs qu’il est
beaucoup plus à l’aise avec des sujets dont la temporalité
n’a rien à voir avec le présent, qu’il s'agisse
de l’explosion punk de la fin des années 70, de la colonisation
de l’Ouest américain ou des possibles conséquences
des abus de l’homme sur la planète bleue dans un avenir
plus ou moins rapproché.
Jude se démarque par contre des autres efforts de Winterbottom
de par son absence totale d’optimisme. La série de défaites
personnelles encaissées par les deux principaux personnages,
brillamment interprétés par Eccleston et Winslet, sont
aussi traitées d’une manière beaucoup plus humaine
que cinématographique. En ce sens, Winterbottom se fait extrêmement
discret et lésine autant que possible sur les effets dramatiques.
Les occasions étaient pourtant nombreuses pour que Jude
ne devienne qu’un autre drame larmoyant nous imposant des émotions
qui n’ont bien souvent rien de crédible. Mais même
s’il plonge ses sujets dans une tourmente dont les causes et les
effets sont toujours mis en évidence, rien n’y paraît
pendant la majeure partie du film. Le réalisateur britannique
préfère laisser le côté émotif de
son effort prendre forme naturellement en se concentrant de son côté
unilatéralement sur le développement de son récit
et de ses personnages. Une retenue dont la force et l’importance
n’apparaissent qu’en toute fin de parcours, rendant au passage
absolument renversant chaque point tournant du scénario d’Hossein
Amini.
À défaut de mélanger le style visuel moderne de
Winterbottom à une temporalité complètement opposée
comme il le fera si bien dans The Claim, Jude met
malgré tout en évidence le grand professionnalisme du
cinéaste tout en nous faisant oublier les maladresses de ses
précédents efforts. S’appuyant également
sur un scénario beaucoup mieux nanti, ce quatrième film
forme un bond en avant prodigieux pour le Britannique qui exerce un
contrôle de plus en plus assuré sur son univers cinématographique.
Cette force est particulièrement visible dans le cas présent
dans la façon dont ses personnages interagissent avec un environnement
auquel ils semblent réellement appartenir, menant du coup à
des situations dramatiques qui ne paraissent jamais forcées.
La modestie de l’entreprise révèle plutôt
tout le naturel d’une mise en situation dont le climat de plus
en plus lourd guide un récit prenant les traits d’une marche
à sens unique devant prendre fin sur une séquence bouleversante
figurant encore parmi les plus effectives de la carrière de Michael
Winterbottom.
Version française :
Jude
Scénario :
Hossein Amini, Thomas Hardy (roman)
Distribution :
Christopher Eccleston, Kate Winslet, Liam Cunningham,
Rachel Griffiths
Durée :
123 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
21 Mai 2006