JENNIFER'S BODY (2009)
Karyn Kusama
Par Laurence H. Collin
Question cinéma populaire, existe-t-il une bête plus efficace
que le slasher traditionnel pour apostropher la thématique des
angoisses proprement adolescentes? Né durant les années
70 devant les caméras de Clark et Carpenter, le « dead
teenager movie » aura vu ses productions sortir en généreuses
pelletées à chaque décennie, tout en respectant
scrupuleusement les variantes d’un même code narratif. On
ne pourrait nier que même si la plupart des rejetons du sous-genre
en question illustrent en effet les zones sensibles de la puberté,
ceux-ci n’en font guère l’étude de façon
intentionnelle - mais n’est-ce pas là ce qui rend leur
dissection plus étonnante? Poésie et psychanalyse sont
laissées aux plus grands, laissant ainsi allégories transparentes
et excès aux productions plus « bas de gamme ». Bien
évidemment, la corrélation entre un récit de terreur
parmi un groupe d’adolescents typés et les anxiétés
générées par la tempête hormonale a déjà
été exploitée maintes fois - particulièrement
lorsque le point de vue s’avère féminin. On pense
notamment à Ginger Snaps, dans lequel une jeune fille
découvre que ses menstruations ne sont pas la seule chose régulée
par la lune, ou bien au mythique Carrie, conte d’épouvante
paranormal exorcisant toute la souffrance d’une pauvre exclue
du milieu secondaire. Jennifer’s Body patauge dans les
mêmes eaux : amalgame pleinement assumé de comédie
lycéenne et d’horreur sanguinolente, le projet est en fait
la seconde scénarisation de Diablo Cody, nouvelle venue lancée
subitement dans la cour des grands après la montée vers
les étoiles de Juno il y a maintenant deux ans. Même
si les enjeux narratifs sont diamétralement opposés, les
thèmes présentés restent voisins - si la comédie
indépendante de 2007 explorait la gamme de sentiments propres
à sa protagoniste sur le passage à l’âge adulte
autant qu’il interprétait ses questionnements sur l’amour
véritable, cette concoction décidément oestrogénique
(devant et derrière la caméra) vise surtout à dresser
un portrait de la camaraderie féminine en temps d’éveil
sexuel.
Sordide destin que celui de la petite ville américaine prénommée
Devil’s Kettle; sa petite histoire tordue nous est narrée
par Anita « Needy » Lesnicky (Amanda Seyfried), mignonne
adolescente internée dans une prison à haute sécurité
pour avoir commis un crime dont la nature nous est inconnue. Capable
d’élans bagarreurs ahurissants et colorée dans son
langage, Needy affirme pourtant qu’elle n’a pas toujours
été aussi timbrée. Tout débuta par la venue
du très populaire groupe emo-rock Low Shoulder dans une brasserie
plutôt modeste de sa ville natale - concert très anticipé
par la meilleure amie de longue date de Needy, soit la pulpeuse Jennifer
(Megan Fox), canon inspirant tous les désirs des mâles
se trouvant sur son chemin. Bien que très différentes,
les deux jeunes femmes passent pourtant tout leur temps ensemble depuis
leur tendre enfance, au grand désespoir de Chip (Johnny Simmons),
petit ami discret mais plein de bonne volonté de Needy. C’est
lorsque le bar dans lequel la formation menée par le présomptueux
Nikolai (désopilant Adam Brody) se donne en spectacle passera
mystérieusement au feu que la panique s’emparera des citoyens,
surtout pour Needy, qui ne parviendra pas à convaincre sa grande
amie de ne pas faire confiance aux membres de Low Shoulder lorsque ceux-ci
proposent un lieu sûr. Ayant le béguin pour son chanteur
et guitariste principal, Jennifer suit le quatuor jusque dans un lieu
obscur… pour éventuellement revenir au beau milieu de la
nuit chez Needy, enduite de sang frais de la tête aux pieds et
au regard vide. Suspicieuses vomissures noirâtres et horribles
cris gutturaux suivront, au grand désespoir de sa pauvre comparse.
Son incompréhension se verra amplifiée lorsque Jennifer
se présentera tout de même en classe le lendemain en grande
forme - qu’est-il donc arrivé à sa meilleure amie,
le temps d’une nuit? Lorsque plusieurs cadavres éviscérés
des prétendants de cette dernière commencent à
surgir dans des lieux obscurs de la ville, Needy reliera peu à
peu les points. Quelque chose de démoniaque s’est emparée
du corps de la belle, et cette chose possède un appétit
insatiable pour les garçons. Il faudra une détermination
et un courage inespéré à l’honorable Needy
pour neutraliser cette mangeuse d’hommes au sens propre, surtout
lorsque le gentil Chip en deviendra la cible…
Finalement, le pari que Diablo Cody tente de relever est-il réussi?
Rédigé dans la même période de gestation
que Juno, cet hétéroclite Jennifer’s
Body rend la réponse à telle question délicate
à formuler vues ses diverses ambitions. Il vaudrait peut-être
mieux en juger les mérites selon chacune des optiques possibles
avant d’en tirer constat. Chose certaine, sa facette comique n’en
sort pas perdante en fin de compte - il fait bon, le temps de quelques
bobines, retrouver la plume désinvolte, mais ô combien
caustique, qui a caractérisé l’auteure dans son
premier tour de piste. De nouveau au milieu secondaire, Cody se permet
encore une fois une pléiade de dialogues brûlants qui n’ont
rien à envier aux meilleures répliques dont avait hérité
Ellen Page durant sa grossesse imprévue. D’apparence spontanés
mais n’ayant rien de bien naturalistes, ces échanges infusés
de nombreuses références à une culture populaire
ont tout pour charmer ou irriter ceux dont l’attention avait été
portée sur le parlé incandescent du projet antérieur
de la scénariste. Ces joutes verbales, cependant, ne décrochent
pas les éclats de rires à tout coup, faute d’être
parfois trop fabriquées pour sonner juste dans la bouche des
comédiens. On notera effectivement une baisse significative de
gags réussis dans le dernier tiers du récit, et lorsque
ceux-ci n’ont pas de véritables traits d’observation
humaine à conférer, l’écriture stylisée
de Jennifer’s Body tourne à vide. Si les malaises
s’avèrent occasionnels, Cody parvient néanmoins
à redonner l’élan nécessaire à sa
trame narrative en exploitant à leur plein potentiel les éléments
plus satiriques du lot, comme le portrait pathétique et arrogant
qu’elle brosse des groupes de la vague emo ou encore sa dénonciation
de la sympathie artificielle des médias après une tragédie
quelconque. Il est donc somme toute dommage de constater, malgré
ces promesses remplies, que sur l’échelle des frissons
Jennifer’s Body s’avère un échec.
On voudrait en effet croire que l’entreprise est peu préoccupée
à générer sursauts et frayeurs, mais le nombre
de temps et d’effets-chocs consacrés face aux résultats
fournis laisse le public sur sa faim. À en juger par ses éclats
de violence plus bouffonesques que saisissants et sa carence d’une
imagerie vraiment dérangeante, la réalisation de Karyn
Kusama, manifestement habituée aux projets à dominance
féminine après Girlfight et Aeon Flux,
s’avère plus à l’aise dans la rigolade que
dans le macabre. Ses symboles horrifiques (la robe de bal ensanglantée,
la piscine à l’eau infecte pour la confrontation ultime,
etc.) apparaissent d’ailleurs plutôt empruntés, malgré
une mise en scène fluide qui laisse un récit plutôt
bavard s’enchaîner sans véritable temps mort.
On quittera donc la salle de projection plutôt stupéfait
en devant admettre que l’atout principal de ce qui nous est présenté
dans un emballage de série B s’avère sa vraisemblance
psychologique, et non ses plaisirs coupables, ici assez peu maîtrisés.
Le personnage central de cette histoire, interprété avec
grâce et sincérité par l’excellente Amanda
Seyfried, convainc dans ses désirs et ses intentions même
sans avoir une quête intérieure très approfondie.
Needy est, certes, le personnage le plus développé de
l’ensemble, laissant donc toutes les facettes de son être
intrigantes à voir se déployer. On pourrait aisément
voir la jeune femme aux lunettes rondes et aux traits de chérubin
être traitée en tant que mièvre héroïne
unidimensionnelle dans un autre essai du genre, mais ses traits de caractère
subtils contournent les conventions en ce qui a trait aux chastes survivantes
usuelles. Les rapports sexuels qu’elle entretient avec son copain
sont d’ailleurs présentés comme tout à fait
habituels, renversant les codes attribués aux charmantes meilleures
amies de ces sempiternelles lolitas. À cet égard, le rôle-titre
attribué à Megan Fox - beauté chaude jouissant
d’une popularité aussi inopinée qu’immense
pour son sex-appeal avant ses qualités d’actrice - comporte
sa donne de fâcheuses irrégularités. Tout d’abord,
parce que la malédiction venant extérioriser les démons
qui étaient déjà intrinsèques à Jennifer
est peu cohérente, même dans un contexte ou une métamorphose
en succube est permise, et ensuite parce que son interprète ne
se montre pas à la hauteur lors des quelques moments sollicitant
une authenticité émotive. Le scénario lui réserve
néanmoins une perspective de compassion insoupçonnée
peu avant la conclusion, enrichissant un portrait résolument
moins nuancé.
« Hell is a teenage girl », entendrons-nous durant
l’ouverture de Jennifer’s Body. Vu l’épilogue
croustillant nous étant présenté, la boucle semble
bouclée - l’enfer est peut-être bien une adolescente.
C’est sûrement cette estampe polissonne qui conviendrait
le mieux à ce succès modeste, mais fort en trouvailles
rusées, soit celui d’une jeune extravagante voulant clamer
son excentricité de façon aussi réjouissante qu’exaspérante.
On aurait franchement souhaité une manipulation moins éparpillée
d’un projet hybride comme celui-ci, mais la forme prospère
en sautes d’humeur sied habilement le fond libidineux. Et pour
quiconque convoitant un peu de sang neuf dans une artère cinématographique
de plus en plus controuvée, il n’est pas trop difficile
de pardonner les imperfections du corps de Jennifer - quoiqu’un
peu moins sa sous-utilisation de J.K. Simmons, Amy Sedaris et Cynthia
Stevenson…
Version française :
Le Corps de Jennifer
Scénario :
Diablo Cody
Distribution :
Megan Fox, Amanda Seyfried, Johnny Simmons, Adam
Brody
Durée :
102 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
23 Septembre 2009