THE ISLE (2000)
Kim Ki-duk
Par Jean-François Vandeuren
Dans la plupart des œuvres de fiction s’évertuant
à enchaîner ce que l’on pourrait prendre comme une
suite de toiles absolument magnifiques révélant divers
paysages d’une beauté des plus éloquentes, comme
dans ce cas-ci où la caméra de Kim Ki-duk dévoile
avec minutie les traits d’un lac surplombé par le calme
de la nature, jamais on ne s’attendrait à finir par associer
cette série de cartes postales à une forme de violence
particulièrement sadique. Mais dans le cinéma de Kim Ki-duk,
c’est une toute autre histoire. La tranquillité de ces
grands espaces vient ainsi servir de refuge à des personnages
en quête de rédemption, mais à leur arrivée
sur les lieux, la plupart n’ont pas encore complètement
évacué les pulsions rattachées à leur quotidien
ou un événement en particulier. Dans The Isle,
cette beauté embrasse sans retenue le caractère cauchemardesque
d’une quête d’émotions à l’état
pur dans un film prenant graduellement les allures d’un conte
morbide.
Le réalisateur sud-coréen nous invite donc à prendre
place dans une sorte d’hôtel en pleine nature où
des cabanes rustiques flottant sur un lac servent d’habitats aux
visiteurs pendant leur séjour. L’endroit est tenu par une
jeune femme peu bavarde qui se contente de répondre aux appels
de ses clients. Parfois cela n’implique qu’apporter le café
ou des vers pour la pêche. Cependant, il y a d’autres moments
où cela va jusqu’aux faveurs sexuelles. Sa routine prendra
un nouveau tournant lorsqu’un jeune homme au passé violent
arrivera sur les lieux avec la ferme intention de mettre fin à
ses jours. Les deux individus amorceront alors une relation des plus
inhabituelles basée sur une initiation à la souffrance
qui mènera plus tard à la guérison.
Après l’exercice de style plus ou moins réussi que
fut Real Fiction, Kim Ki-duk compléta son année
2000 avec un second long métrage beaucoup mieux nanti en tout
point, tirant profit d’un rythme réglé au quart
de tour dans sa propre lenteur afin que prenne forme un récit
où la violence est omniprésente, mais pas nécessairement
de manière visuelle. Car bien qu’elle créeront assurément
un malaise chez le spectateur, les séquences violentes du film
sont pour la plupart habilement camouflées par le montage, et
ce n’est pas sans raison. Car même si cette violence demeure
un élément primordial dans l’univers du film de
Kim Ki-duk, elle n’est pas là pour choquer, mais bien pour
supporter une dimension symbolique au niveau de la relation à
caractère sado-masochiste prenant forme entre les deux principaux
personnages. Un concept que Kim Ki-duk élabore pourtant avec
une nuance assez exceptionnelle en continuant de mettre en évidence
son amour pour les personnages muets en conflit avec eux-mêmes
et le monde extérieur, retournant même dans le cas présent
jusqu’à un comportement animal. Une idée qui mènera
plus tard à la création d’oppositions fort à
propos entre l’environnement dépeint dans le film et les
individus qui en deviennent les éléments perturbateurs.
À l’image de la propriétaire de l’hôtel,
l’approche visuelle de Kim Ki-duk n’est pas forcément
très mouvementée, mais parvient tout de même à
exprimer les concepts de son scénario avec une précision
chirurgicale. Les mouvements de caméra épousent d’autant
plus parfaitement l’environnement que le cinéaste dépeint
sous nos yeux. Ce dernier ne se gêne pas pour faire de ses grands
espaces un huis clos pour ses deux sujets, les emprisonnant même
à répétition à l’intérieur
de ses plans. Par ce manque de dynamisme, le cinéaste parvient
d’autant plus à présenter la violence de son effort
avec une redoutable efficacité, laissant patiemment le symbolisme
de son récit prendre le dessus sur l’image. Cet effort
permet de bien des manières de revenir aux bases du cinéma.
Mais le réalisateur est tout de même conscient du langage
désormais employé. Utilisant à cet effet des personnages
principaux muets - sans trop exagérer ou nuancer – il met
en évidence la tourmente émotionnelle de ces derniers.
The Isle se veut d’ailleurs une réussite assez
admirable à ce niveau.
Même s’il s’agit d’un film qui possède
sa part de mérite en soi, son importance s'imposa avec le temps
comme une œuvre de transition dans la filmographie de Kim Ki-duk,
mais aussi comme l’effort qui lui aura permis de sortir de l’ombre
à l’extérieur de son pays d’origine. Ce film
ne fait pas seulement figure de simple fable à tendance extrémiste,
parmi tant d’autres, dans un cinéma asiatique assez riche
en la matière. Il demeure le plus représentatif de l’ensemble
des thématiques abordées par le cinéaste, voire
celui qui aura établi les bases de son cinéma tel qu’on
le connaît aujourd’hui, avant qu’il ne s’amuse
à séparer ses idées en divers fragments afin d’en
approfondir l’exploration par le biais de plusieurs longs métrages
plutôt qu'avec un seul.
Version française :
L'île
Version originale :
Seom
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Suh Jung, Kim Yoosuk, Park Sung-hee, Jo Jae-hyeon
Durée :
88 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Janvier 2006