THE ISLAND (2006)
Pavel Lounguine
Par Jean-François Vandeuren
Durant la Seconde Guerre mondiale, un bateau russe transportant du charbon
est accosté par un navire de guerre allemand. Avant de détruire
le cargo, les soldats nazis forcent Anatoli, le seul marin à
bord, à tuer son capitaine. Chose qu’il fait malgré
lui avant d’exploser avec l’embarcation. Visiblement né
sous une bonne étoile, Anatoli est recueilli le lendemain sur
les rives d’une île par des prêtres oeuvrant pour
un monastère situé à proximité des lieux.
Trente ans plus tard, Anatoli est devenu prêtre à son tour
et mène la vie dure à ses comparses. De leur côté,
ceux-ci tentent de comprendre les motivations de ce personnage coloré
qu’ils croient tous un peu cinglé, mais qui semble également
doté de pouvoirs extraordinaires telles la guérison et
la clairvoyance.
Ce septième film du Russe Pavel Lounguine affiche évidemment
un fort penchant religieux qui demandera aux non-croyants de faire certaines
concessions s’ils désirent se laisser emporter par ce récit
des plus articulés mis en scène d’une façon
particulièrement éclatante. À la base, le cinéaste
énonce une idée qui demeure très claire du début
à la fin : Dieu existe et possède un plan pour chacun
de nous. C’est autour de ce concept que Lounguine élabore
la quête de rédemption rongeant l’esprit de son protagoniste
depuis maintenant trois décennies. Le cinéaste rend les
choses d’autant plus intéressantes en laissant continuellement
planer le doute quant aux intentions du Saint-Père dans toute
cette histoire. S’agit-il de manipulation divine devant faire
d’Anatoli le messager de ce dernier sur Terre? Ou si les soi-disant
dons de notre marin déchu ne sont-ils pas plutôt son ultime
chance de salue après tant d’années de souffrance
spirituelle?
Si le cinéaste russe ne questionne pas l’existence de Dieu,
il trouve tout de même le moyen de critiquer l’Église,
en particulier en ce qui a trait aux actions de ses instituteurs par
rapport aux valeurs qu'ils préconisent ordinairement auprès
du peuple. Lounguine redirige d’autant plus brillamment ce propos
vers le contexte politique de l’Union soviétique des années
70. Pour rendre ce débat encore plus sensé, le film pose
également un regard sur l'individualisme qui en découla.
Une notion que l’effort dénonce autant qu’il encourage.
Il s’en prend d’une part à la quête d’avoir
et de confort personnel et au modèle hiérarchique de ces
institutions qu’il dépeint en tant que principes opposées
autant au communisme qu’aux idéaux prêchés
par le catholicisme depuis des siècles. Là où The
Island se montre toutefois plus en faveur de cette idée,
et qui démontre du coup toute l’ingéniosité
du scénario de Dmitry Sobolev, est dans la façon dont
les personnages doivent faire face à leurs problèmes.
Les méthodes peu classiques d’Anatoli encouragent ainsi
les personnes venues lui demander son aide, que ce soit pour elles ou
pour quelqu’un qui leur est cher, à effectuer un retour
sur elles-mêmes et à agir selon leurs propres convictions
sans se soucier des pressions extérieures.
Lounguine gère également de façon éblouissante
ses décors naturels dont il souligne somptueusement la force
symbolique de ce havre de paix et de sagesse aux prises avec ses propres
contradictions. Malgré que ce milieu soit on ne peut plus propice
à l’éloignement des diverses tentations de la vie
moderne, la plupart des personnages semblent avoir de la difficulté
à retourner aux bases élémentaires de l’existence
et donc d’entrer en harmonie avec ce lieu où ils décidèrent
de se réfugier. La mise en scène de Pavel Lounguine rend
parfaitement grâce de cette situation de par sa sobriété
et la précision de son exécution. La direction photo d’Andrei
Zhegalov privilégiant une palette de couleurs assez primaires
exprime tout autant les enjeux de cette histoire où la noirceur
s’infiltre merveilleusement dans un paysage voilé par les
nuages à mi-chemin entre l’hiver et le printemps. Cette
caractéristique reflètent ainsi l’essence même
du personnage principal de ce récit dont la destinée est
en soi figée dans le temps et l’espace, mais la lumière
au bout du tunnel commence enfin à être perceptible.
Que nous soyons croyants ou non, The Island s’avèrera
une fable sur la rédemption des plus pertinentes et prenantes
pour ceux et celles qui seront aptes à voir au-delà de
sa mise en situation affichant un fort penchant religieux. Il faut dire
que le cinéaste russe nous facilite la tâche en ne nous
imposant pas les mêmes sermons que ce genre d’histoire déblatère
ordinairement tout en donnant une raison d’être et un ton
comique au comportement malcommode de son personnage principal. Dmitry
Sobolev en fait également une utilisation fort adroite pour alimenter
la progression de son scénario. Le duo souligne ainsi au final,
et rend du même coup son œuvre un peu plus accessible, que
la foi, pour ceux qui désirent y avoir recourt, n’est pas
quelque chose d’institutionnelle mais bien d’intérieure.
Version française : -
Version originale :
Ostrov
Scénario :
Dmitry Sobolev
Distribution :
Pyotr Mamonov, Viktor Sukhorukov, Dmitry Dyuzhev
Durée :
112 minutes
Origine :
Russie
Publiée le :
30 Octobre 2006