LES INVASIONS BARBARES (2003)
Denys Arcand
Par Frédéric Rochefort-Allie
Il y a 17 ans, quelques amis discutaient paisiblement sur divers sujets
autour d'un souper alors qu'une des copines du groupe annonçait
le début du déclin de l'empire Américain. Regrettablement,
cette supposition s'avéra juste. Encore en 2004, les conséquences
sociales ont continué de s'aggraver et à mener vers cet
inévitable destin de la société occidentale. Cinéaste
engagé, Arcand a ressucité ses personnages pour leur faire
vivre la toute nouvelle étape logique de cette régression:
Les Invasions Barbares.
On retrouve donc Louise (Dorothée Berryman), Diane (Louise Portal),
Dominique (Dominique Michel), Claude (Yves Jacques), Pierre (Pierre
Curzi) et un Rémy (Rémy Girard) mourant à petit
feu d'un cancer qui lui gruge la vie. C'est aussi la confrontation avec
de nouveaux personnages d'une toute nouvelle génération,
dont Sébastien (Stéphane Rousseau), le fils même
de Rémy, qui est aux antipodes de son père.
Avant de se concentrer sur le drame humain, il faut prendre le film
pour ce qu'il est: une critique sociale. Né d'un constat plutôt
sérieux de la part du cinéaste Denys Arcand, le scénario
se permet de dépeindre bien des aspects peu reluisants de la
société québécoise. Comme son ancêtre
Le Déclin de l'Empire Américain, qui s'approchait
beaucoup des écrits de Michel Dorais, Les Invasions Barbares
est un film actuel. Problèmes de la santé, individualisme,
capitalisme, froid entre les générations, tout y passe
et d'un cru frappant. Les Invasions Barbares, ça signifie
l'explosion de la société Québécoise par
tout ce qui lui est étranger. D'où justement le terme
d'invasion pour refléter notre société. Non seulement
le point de vue critique y est fortement développé mais
la plume d'Arcand s'avère aussi fortement efficace au niveau
émotif. Ce film nous présente le cycle de la vie, les
deux principales étapes, la vie et la mort, et leur évolution.
Rémy, le cancéreux, constate que ses idéaux sont
en train de mourir et que le monde change sous ses yeux alors qu'il
ne peut rien y faire. Tout de même, le film traite aussi de certains
sujets avec un brin d'humour et reflète bien de nombreux plaisirs
de la vie. Mais la principale force du scénario demeure les dialogues,
misant quasi exclusivement sur ceux-ci d'ailleurs. S'ils peuvent paraitre
hautains pour les inhabitués, rappelons que les personnages sont
des intellectuels, ce qui explique leur niveau de langage parfois pompeux.
Un scénario quasi irréprochable si ce ne serait que pour
son contexte un peu cliché, le cancer en phase terminale qui
fait revenir de vieux amis.
La réalisation, bien que présentant de jolis moments de
cinéma, comme les jambes d'Inés Orsini en métaphore,
de superbes plans de la nature ou des images terrifiantes et pourtant
réalistes du système de santé au Québec,
n'est pas au premier plan de ce long-métrage. Comme nous sommes
devant un film à dialogues, il est tout à fait évident
que pour qu'un texte aussi génial prenne vie, il faut de grands
acteurs pour lui donner souffle. On l'a dit et redit a peu près
partout sur la planète, la distribution du dernier film d'Arcand
est géniale. Rémy Girard prend aux entrailles le spectateur
et offre probablement sa meilleure interprétation en carrière,
ce qui est énorme pour un acteur d'un aussi grand talent. Sa
chimie avec Stéphane Rousseau, qu'on avait tôt fait de
catégoriser comme acteur minable pour sa participation au navet
monumental des Dangereux, est d'une crédibilité
surprenante qui ne ressemble en rien au duo avec Madame Jigger. C'est
d'ailleurs probablement l'un des rares humoristes à nous offrir
une interprétation consistante ces dernières années.
On retrouve aussi avec joie la quasi totalité de la distribution,
toujours égale à elle-même et tout aussi intéressante
qu'avant. Mais c'est aussi l'occasion de découvrir de nouveaux
talents comme Marie-Josée Croze par exemple. L'actrice découverte
dans Maëlstrom, prouve une fois de plus son talent par
une interprétation étonnamment juste d'une junkie
un peu naïve. Elle fut justement récompensée de nombreux
prix mais malheureusement fit de l'ombre à une autre excellente
comédienne, Isabelle Blais. Cette dernière, en seulement
deux apparitions, arrive à toucher profondément les spectateurs.
Il s'agit d'une grande actrice qu'on relègue malheureusement
souvent à de petits rôles. C'est regrettable pour sa carrière,
mais extrêmement profitable au film.
On retiendra certainement des Invasions Barbares son rayonnement
au niveau international, un film qui s'inscrit avec raison dans les
annales du cinéma Québécois. En fait, rarement
a-t-on connut succès plus éclatant. Même si son
actualité est frappante, ce film demeurera tout comme son ancêtre
un film culte transcendant les époques. Tant le message porté
par les personnages que le drame qui les touchent est preuve de génie.
Les Invasions Barbares, c'est la voix étouffée
d'un Québec en plein changement, du grand Arcand qui mérite
bien ses éloges. Un film remarquable, rien de moins.
Version française : -
Scénario :
Denys Arcand
Distribution :
Rémy Girard, Stéphane Rousseau, Dorothée
Berryman, Louise Portal
Durée :
112 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
14 Septembre 2004