INTO THE WILD (2007)
Sean Penn
Par Louis Filiatrault
Dans son film Le Voyage de 1992, l'Argentin Fernando Solanas
nous raconte l'épopée d'un adolescent bourgeois fuyant
le carcan scolaire et l'oppression familiale. Ce faisant, il découvre
le vrai visage de son pays natal, la réalité profonde
des exploiteurs et des exploités. L'évasion individuelle
devient prétexte à une allégorie sociopolitique
d'un surréalisme passionnant.
Dans son film Into the Wild de 2007, l'Américain Sean
Penn nous raconte l'épopée d'un jeune diplômé
universitaire fuyant lui aussi la responsabilité sociale et l'oppression
familiale. Ce faisant, il ne découvre... absolument rien, sinon
la même nature et la même liberté, les drogues en
moins, que tout un cinéma américain des années
60 et 70 nous a déjà présentées sous toutes
ses coutures. Mais même envisagé comme rescapé anachronique
d'un mouvement idéologique d'emblée nostalgique, Into
the Wild se révèle d'une pauvreté aberrante:
magnifique carte postale d'un romantisme n'égalant qu'une triomphale
superficialité, ce film interminable fait pâle figure face
à l'évasion plus radicale, plus enivrante et ultimement
plus lourdement fatale d'emblêmes comme Easy Rider ou
même Vanishing Point. Film aux aspirations dramatiques
prétentieuses, embrassant un individualisme quelque peu incohérent,
le quatrième long-métrage réalisé par Sean
Penn est une amère déception.
Adapté d'un ouvrage de Jon Krakauer, minutieusement documenté
via écritures et témoignages et scénarisé
par Penn lui-même, Into the Wild relate en long et en
large les aventures véridiques de Christopher McCandless, adoptant
le pseudonyme loufoque d'Alexander Supertramp, prenant la route de l'Ouest,
puis faisant escale, entre autres régions, dans le Dakota du
Nord, dans les parages du Mexique, et ultimement en Alaska. Sur une
période de deux ans, il fait la rencontre d'un couple d'attachants
hippies quadragénaires (Brian Dierker et la toujours charmante
Catherine Keener), d'un vieux militaire à la retraite qui souhaitera
le prendre sous son aile (Hal Holbrook, émouvant), et de plusieurs
autres personnages apparaissant parfaitement disposables dans le cadre
de cette adaptation. Chris/Alex a fui le domicile où ses riches
parents (William Hurt et Marcia Gay Harden, gaspillés) entretiennent
une guerre sans merci depuis des années, et le récit est
narré par la soeur du pauvre gosse (Jena Malone), dans une prose
glorifiant l'illumination du héros sans parvenir à lui
procurer une quelconque profondeur, une quelconque parcelle de sagesse
inédite et constructive. Bref, dans sa présente version
cinématographique, le récit de Into the Wild
se révèle d'une parfaite banalité.
Là où cette histoire parvient peut-être à
prendre sens et intérêt, c'est sur la page, là où
elle fut d'abord couchée. C'est en effet souvent là que
les vérités subjectives en rapport aux voyages introspectifs
parviennent à exploser convenablement. Mais les meilleurs cinéastes
ont compris que la simple figuration paysagiste ne pouvait suffire à
témoigner d'une progression intérieure, aucune signification
abstraite ne pouvant émerger de quelques assemblages de panoramas,
aussi bucoliques soient-ils ; Alfonso Cuaron l'a compris en élaborant
son Y tu mamà tambien, récit de voyage détourné
en étude de personnages distanciée mais très concrète.
Comme François Girard dans son récent Soie, Sean
Penn se bute aux limites fondamentales du cinéma: celles de la
représentation et du besoin d'élaborer un dispositif original
pour accéder à l'intériorité d'un personnage.
Son film caresse les surfaces et saisit de jolies images qui ne veulent
tristement rien dire (oh! une chenille!).
L'autre grand problème d'Into the Wild concerne la présentation
des événements et de la psychologie. À la fois
trop nombreuses pour obtenir une couverture respectueuse en une durée
de deux heures trente et trop peu significatives pour mériter
que l'on s'y attarde davantage, les revirements du film posent les bases
d'une narration très problématique. En prétendant
à l'exhaustivité, Sean Penn évacue la substance,
et les rencontres supposément importantes du héros trouvent
à peine la chance de franchir le stade des présentations
; c'est le cas du passage de Supertramp chez un fermier sympathique
(Vince Vaughn, efficace) et du méprisable épisode de flirt
avec une jolie gamine (dur, dur d'être beau gosse!). En terme
de narration en ellipses, le moins ambitieux Brokeback Mountain
performait déjà beaucoup mieux, marquant clairement les
étapes d'une progression temporelle et psychologique. Ici, le
récit, inutilement structuré en chapitres, flashbacks
et « flash-forwards », se développe sur un mode statique,
sans tension dramatique aucune, et devient complaisant à force
de contemplation. Les motivations profondes du héros demeurent
obstinément hors d'atteinte, ce qui ne s'avèrerait pas
tant un problème si Sean Penn ne semblait pas justement privilégier
une approche « psychologisante » et une esthétique
épique mais somme toute très classique.
Malheureusement, les problèmes de Into the Wild ne s'arrêtent
pas là. Le personnage principal du film, tel qu'interprété
par Emile Hirsch, s'avère un individu à la personnalité
franchement ennuyante, figeant des airs de gêne sur son visage
de jeune premier comme pour masquer sa banalité. Le film, s'il
refuse de porter un jugement définitif sur les choix ultimes
du personnage en se concluant dans une certaine ambiguïté
(CHRIS EST-IL ALLÉ TROP LOIN?!), embrasse manifestement l'«
inspiration » du héros en suscitant l'approbation systématique
de chaque intervenant (sauf des parents, bien sûr) et en l'élevant
au-dessus des autres mortels. Ceux qui s'attendraient à une méditation
intelligente sur les implications philosophiques, spirituelles ou même
esthétiques de l'évasion complète dégringoleront
de haut ; les autres sauront se sustenter des images amples et spectaculaires,
de quelques séquences d'un impressionnisme splendide et d'une
agréable musique d'inspiration americana, ponctuée de
la voix réconfortante d'Eddie Vedder. Into the Wild:
fantaisie idyllique, faux appel au partage, fuite condescendante à
l'extrême inverse des retrouvailles bouleversantes d'un Paris,
Texas ; bref, déception monumentale.
Version française :
Vers l'inconnu
Scénario :
Sean Penn, Jon Krakauer (livre)
Distribution :
Emile Hirsch, Marcia Gay Harden, William Hurt,
Jena Malone
Durée :
140 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
26 Novembre 2007