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IN THIS WORLD (2002)
Michael Winterbottom

Par Jean-François Vandeuren

Peu importe les thèmes abordés, le cinéma de Michael Winterbottom est souvent caractérisé d’une forme d’engagement. Mais plutôt que de miser sur la politique, le cinéaste britannique s’intéresse toujours au caractère des hommes et des femmes peuplant ses récits et à leur capacité (ou non) d’adaptation dépendamment des situations. En ce sens, l'un de ses sujets de prédilection depuis la fin des années 90 fut sans contredit le sort réservé aux réfugiés issus des zones troubles de notre planète. Winterbottom aborda d’une part cette problématique avec son portrait du journalisme de guerre durant le conflit bosniaque dans son concluant Welcome to Sarajevo. Elle fut également l'un des nombreux points soulevés par son formidable plaidoyer sur les possibles conséquences de nos excès, dans un avenir plus ou moins rapproché, dans Code 46. Dans In This World, Michael Winterbottom, aidé du scénariste Tony Grisoni (plus connu pour ses collaborations avec Terry Gilliam sur les scénarios de Tideland et Fear and Loathing in Las Vegas), nous propose son effort le plus significatif sur le sujet à ce jour. Celui-ci nous soumet au cas de deux jeunes réfugiés afghans qui entreprennent dans la clandestinité un long périple devant les mener à Londres.

In This World reprend l’esthétique de faux documentaires devenue si populaire depuis quelques années. Le film bernera d’ailleurs le premier venu en début de parcours par la courte apparition d’un narrateur en voix off, présent dans ce cas-ci pour nous placer rapidement dans le contexte de l’effort. Winterbottom positionne ensuite parfaitement sa fiction entre le ton d’urgence et de tension qu’impose la trame sonore et sa réalisation mouvementée résultant de l’utilisation automatique d’une caméra à l’épaule pour ce genre d’approche. Le cinéaste recréé tout aussi efficacement le climat d’insécurité habitant chaque centimètre de ce voyage vers l’inconnu au cours duquel les deux principaux personnages devront faire aveuglément confiance aux individus disant vouloir les aider. La progression de ce périple deviendra tout aussi significative de par son opposition entre l’orient et l’occident. Les images parleront d’elles-mêmes alors que nous partirons d’un camp de réfugiés afghans en ruine pour ensuite traverser des lieux toujours un peu mieux nantis du Moyen-Orient avant de finalement aboutir en Europe. L'une des grandes forces du film de Winterbottom par rapport à ce point se veut la façon dont le cinéaste nous fait visiter ces endroits au même titre que ces protagonistes, sachant très bien les situer sur une carte, mais nageant malgré tout dans le dépaysement le plus total.

Ordinairement, nous aurions pu facilement reprocher à Winterbottom de ne pas s’être concentré unilatéralement sur le cas des personnages principaux et d’avoir filmé leur périple d’une perspective un peu trop extérieure. Il est vrai que le cinéaste aurait pu nous limiter qu'à la vision des deux protagonistes. Force est d’admettre que la manière dont il suggère les difficultés du voyage a souvent plus d’impact que lorsqu’il nous les présente. Winterbottom développe alors un climat de tension devenant de plus en plus insoutenable. L’une des séquences clées du film se retrouve d’ailleurs en fin de parcours au moment où le duo et d’autres voyageurs clandestins entament la dernière étape de leur passage vers l’Europe. Ils doivent par contre effectuer la traversée enfermés dans un compartiment minuscule pendant près de deux jours. D’une part, le cinéaste nous entasse avec eux dans cet endroit où la chaleur et le manque d’air provoquent un effet de plus en plus suffocant. Le coup de génie de Winterbottom prend par contre tout son sens lorsqu’il nous sort subitement des lieux pour filmer pendant de longs instants le bateau faisant son chemin jusqu’à la côte européenne, nous laissant le soin d’imaginer le pire.

On se souviendra sûrement de Michael Winterbottom dans plusieurs années d’ici comme d’un cinéaste qui n’aura jamais eu peur de prendre des risques. Une qualité qui aura permis au prolifique réalisateur de mettre sur pied une des filmographies les plus variées des dernières années aux côtés de celle de son homologue américain, Steven Soderbergh. In This World se démarque évidemment du lot grâce au réalisme de sa mise en scène parfaitement conjuguée aux tensions dramatiques de son récit, dont la présence n’éclipse fort heureusement jamais les intentions de départ. L’effort se veut un exercice d’autant plus louable de par le respect qu’il présente à l’endroit des diverses cultures arabes, mais aussi de par la rapiditié fulgurante avec laquelle le cinéaste britannique aura su réagir aux événements et mettre en évidence les enjeux humains découlant de la guerre au terrorisme entreprise par les États-Unis l’année précédente.




Version française : -
Scénario : Tony Grisoni
Distribution : Jamal Udin Torabi, Enayatullah, Imran Paracha, Hiddayatullah
Durée : 88 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 21 Mai 2006