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IN THE MOOD FOR LOVE (2000)
Wong Kar Wai

Par Jean-François Vandeuren

Traiter des relations amoureuses au cinéma est devenu avec les années une entreprise des plus périlleuses. Comme la recette fut apprêtée de toutes les manières inimaginables depuis longtemps déjà, on se contente bien souvent aujourd’hui de nous resservir le même mélange sans nécessairement chercher à en changer les ingrédients. Ainsi, un cinéaste tentant sa chance dans le genre qui réussira à ne pas se casser la gueule pourra presque automatiquement être considérer comme l’un des grands de son art. C’est depuis longtemps le cas de Wong Kar Wai et In the Mood For Love est de bien des manières le couronnement d’une carrière prodigieuse. Le cinéaste chinois aborda dans son septième long métrage le thème de l’adultère d’une manière rarement vue dans l’histoire du cinéma, tous pays confondus. Ce dernier nous plonge ainsi au cœur de Hong Kong, au début des années 60 où deux voisins d’un immeuble fort achalandé, Madame Chan et Monsieur Chow, développeront une relation des plus inhabituelles lorsqu’ils découvriront que leurs époux respectifs entretiennent une relation amoureuse. Ils chercheront alors à découvrir comment tout cela a bien pu se produire et commet ils devront y faire face. Mais tout n’est pas que récit dans In the Mood For Love. La forme extrêmement calculée de l’effort joue également pour beaucoup, en faisant l'une des œuvres asiatiques les plus occidentales qui soit.

D’entrée de jeu, le film de Wong Kar Wai n’aborde pas son sujet de plein fouet et le laisse plutôt se tailler discrètement une place à même le quotidien des deux principaux personnages que l’on voit évoluer dans leur routine et à leur travail respectif. Wong Kar Wai confère ainsi à cette reconstitution du Hong Kong des années 60 toute la classe du néo-réalisme italien et, plus particulièrement, de la vague impressionniste française. In the Mood For Love forme à cet effet un récit très elliptique et on ne peut plus nuancé qui amène au départ le spectateur dans un état de confusion. Car, voyez-vous, le développement de la relation entre Monsieur Chow et Madame Chan est véhiculé à l’écran surtout lorsqu’ils jouent respectivement le rôle de l’époux de l’autre, tentant d’en imiter la passion tout en s’efforçant de ne pas en faire une nouvelle réalité qui les concernerait directement. Wong Kar Wai accorde ainsi une place très importante au langage émotionnel et corporel de ses personnages qu’il souligne de façon impeccable à l’écran par le biais de ralentis et de gros plans.

Il faut dire qu’esthétiquement parlant, In the Mood For Love est un tour de force majeur. La réalisation de Wong Kar Wai aborde de cette manière plusieurs des grands mouvements de l’histoire du cinéma sans que cela ne soit qu’accessoire. D’une part, ce dernier confère à sa mise en scène toute l’élégance des films hollywoodiens des années 40. Mais c’est principalement à l’impressionnisme français, dont il expose abondamment les traits par son montage et l’abondance de mouvements au niveau de l’image, que la forme du film nous renvoie. Le tout est évidemment supporté par la direction photo du maître Christopher Doyle qui tire profit dans le cas présent des moindres couleurs et reflets de lumières flamboyants sur la pluie qui se veut, comme c’était le cas chez les Français, particulièrement abondante dans le film de Wong Kar Wai. La seule entité contraire à toutes ces caractéristiques serait le jeu de Tony Leung et Maggie Cheung, pourtant extrêmement révélateur de par sa simplicité et sa retenue. Les deux interprètes viennent se positionner tant bien que mal à l’écran dans un montage tout aussi rapide que minutieux et dans des décors et des cadrages qui trouvent toujours le moyen de les entasser dans l’image. Le réalisateur élabore ainsi un huis clos, à la fois esthétique et émotionnel, extraordinairement supporté par la répétition (à quelques notes près) du sublime thème musical signé Shigeru Umebayashi et Michael Galasso d’un bout à l’autre de l’effort.

Agençant parfaitement la simplicité de son récit à la complexité de sa mise en scène, Wong Kar Wai nous livre au final un chef-d’œuvre incontestable en son genre. In the Mood For Love affiche ainsi un raffinement esthétique exceptionnel qui va beaucoup plus loin que le simple hommage et confère à ce mélange de quelques-uns des plus glorieux mouvements cinématographiques un sens unique, à la fois contemporain, tout en gardant intacts certains vestiges du passé. Un film qui aborde brillamment toute la problématique des relations amoureuses en s’en tenant toujours à distance et en mettant superbement en évidence à l’écran plusieurs oppositions significatives dans leur fonctionnement. In the Mood For Love se veut au bout du compte un accomplissement pour le moins phénoménal et de plus en plus rare en son genre et même en ce qui a trait à l’ensemble du cinéma d’aujourd’hui. Mais c’est en même temps cette rareté qui nous permettra à long terme d’apprécier les qualités immenses de la mise en scène de Wong Kar Wai à leur juste valeur.




Version française : Les Silences du désir
Version originale : Fa yeung nin wa
Scénario : Wong Kar Wai
Distribution : Tony Leung Chiu Wai, Maggie Cheung, Ping Lam Siu, Rebecca Pan
Durée : 98 minutes
Origine : Hong Kong, France, Thaïlande

Publiée le : 5 Février 2006