INSOMNIA (1997)
Erik Skjoldbjaerg
Par Jean-François Vandeuren
Insomnia s'amorce sous les traits de n’importe quel film
suivant les pistes d’une enquête policière. Tentant
ici d’élucider une sordide histoire de meurtre, un détective
méthodique et son coéquipier se rendent dans un village
isolé au nord de la Norvège pour aider la police locale
à retrouver le coupable. Mais alors que les forces de l’ordre
sont sur le point de capitaliser sur une erreur commise par l’assassin,
une chasse à l’homme débute entre le suspect et
les troupes policières au beau milieu d’un épais
brouillard. Croyant à un certain moment avoir en jeu le meurtrier
en question, la figure jusque là héroïque de toute
cette histoire tue accidentellement son partenaire dans la confusion
la plus totale. En fait, recommençons du début, car c’est
plutôt à partir de ce moment que se met réellement
en marche Insomnia. D’un polar on ne peut plus conventionnel,
le film du Norvégien Erik Skjoldbjaerg prend subitement les traits
d’un jeu de chantage et de manipulation fort bien élaboré
littérairement, s’amusant aux dépens des archétypes
propres au film policier sans jamais jouer la carte de la sympathie.
Skjoldbjaerg nous convie ainsi à une déconstruction de
genre des plus pertinentes, éliminant la plupart des points d’attache
habituels que le spectateur tend à retrouver dans un tel spectacle.
Le héros doit triompher du mal et les criminels doivent payer
pour les actes commis, nous dit la chanson. La figure héroïque
n’existant pas dans le présent film, ces deux opposés
deviennent donc malgré eux des alliés. Il faut dire également
que le détective du film de Skjoldbjaerg ne relève en
aucun cas des attributs du héros type du film policier, mais
le cinéaste n’en fait pas pour autant une simple victime
des événements de son film et lui confère plutôt
une panoplie de défauts, révélant certaines méthodes
fort discutables face auxquelles le spectateur ne pourra tout simplement
pas sympathiser. Mais cette absence de repères en fait-elle un
film dépourvu d’intérêt? Absolument pas, et
c’est même le contraire vu la manière plutôt
caractérielle dont progresse le récit. Insomnia
propose en ce sens une approche événementielle assez similaire
à celle du Psycho d’Alfred Hitchcock dans la mesure
où dans les deux cas, les cinéastes se débarrassent
assez rapidement de la figure de proue de leur trame narrative respective,
changement de cap s’effectuant par contre intérieurement
dans Insomnia.
Les comparaisons entre l’oeuvre d’Hitchcock et le film d’Erik
Skjoldbjaerg dans une mesure aussi substantielle que thématique
ne s’arrêtent pas là. Le climat d’angoisse
et de confusion accablant régnant tout au long du film fait ressortir
également certaines caractéristiques dignes du cinéma
du célèbre réalisateur. L’ensemble s'appuie
de cette manière sur une mise en scène soutenue se tenant
à l’écart de coups de théâtre gratuits,
gardant en tête de traiter les machinations de cet inspecteur
cherchant à se dissocier de ses actes sur un ton monocorde, ce
qui rend cependant l’essai un peu lourd à l'occasion. Le
réalisateur réussit malgré tout à traiter
visuellement l’état d’étourdissement et de
désordre psychologique de son protagoniste par une approche conférant
une importance particulière à un jeu de lumières
aveuglant, profitant de la mise en situation se déroulant à
une période de l’année où il fait continuellement
jour dans cette région du globe.
Dans ces tourments glauques et insomniaques, Erik Skjoldbjaerg démontre
également les attraits d’un savant directeur artistique,
manipulant avec aisance une solide distribution menant son effort empreint
d’un réalisme perturbant et glacial à bon escient.
De cette troupe se démarque essentiellement le premier rôle
interprété par Stellan Skarsgård, lequel réussit
à faire transparaitre son état d’angoisse et de
malaise apparent par un jeu sobre et détaché des plus
appropriés si l'on considère le ton conféré
à cet ensemble dont les points tournants dévoilent un
jeu psychologique prenant et ingénieux. Considérant cela,
il était donc inévitable qu’une intrigue aussi sournoise
se retrouve entre les mains de producteurs américains, ce qui
engendra rapidement (bien évidemment) un remake assez bien mené,
quoique plutôt inutile, signé Christopher Nolan, réalisateur
de l’incontournable Memento (tiens donc). Reconstruction
qui sacrifia malheureusement au passage certaines tangentes scénaristiques
démarquant le présent film de ses semblables au profit
d'une sauce hollywoodienne beaucoup moins permissive. Dommage vu l’éclat
de l’oeuvre originale.
Version française :
Insomnie
Scénario :
Nikolaj Frobenius, Erik Skjoldbjaerg
Distribution :
Maria Mathiesen, Stellan Skarsgård, Sverre
Anker Ousdal
Durée :
97 minutes
Origine :
Norvège
Publiée le :
30 Novembre 2004