THE INSIDER (1999)
Michael Mann
Par Jean-François Vandeuren
L’information est un droit plus que vital dans notre société
actuelle. Particulièrement en ce moment où la politique
et certaines compagnies en prennent pour leur rhume, on a qu’à
penser à la fameuse commission Gomery, alors que divers détails
peu reluisants concernant leur éthique professionnelle commencent
à faire surface, malheureusement de manière souvent tardive.
Ne serait-ce car on ne s’y intéresse tout simplement pas
suffisamment, mais aussi car le pouvoir est hiérarchique. Les
gros joueurs, autant économiques que politiques, ne tiennent
pas nécessairement à ce que l’ensemble de leurs
pratiques soient dévoilées au grand jour. Entre donc en
ligne de compte la censure, et même la propagande, laissant plus
souvent qu’autrement le bon peuple dans la noirceur la plus totale.
Le film de Michael Mann explore ce milieu du journalisme où celui-ci
occupe plusieurs rôles dont la force d’impact est énorme,
mais parfois mal utilisée vu ses limites.
The Insider se penche donc sur un fait vécu relatant
la polémique qui entoura une entrevue pour l’émission
d’affaires publiques américaine 60 Minutes en
1994 avec un ancien chercheur et vice-président d’une compagnie
de tabac, Jeffrey Wigand, lequel partit pratiquement en guerre contre
cette industrie en cherchant à exposer les pratiques scandaleuses
en ce qui a trait à la santé de ce lobby aux ressources
financières sans fond. Segment qui ne fut pas diffusé
au départ vu les enjeux juridiques trop dangereux pour le réseau
CBS, Wigand se trouvant alors coincé par une entente de confidentialité
avec son ancien employeur, que ce dernier n’oublia jamais de lui
rappeler par l'entremise de menaces indirectes et diverses méthodes
d’intimidation.
Le film de Mann débute sur une image assez révélatrice,
voilant la vue du personnage d’Al Pacino, brillant dans le rôle
d’un producteur qu’il conduit avec une retenue assez inhabituelle
pour l’acteur, et la nôtre par la même occasion. Ce
dernier se rend alors vers un endroit tenu secret au Moyen Orient afin
d’y obtenir une entrevue avec un leader islamique. Une introduction
qui fait également part d’une idée formidable de
l’effort qui fut d’insérer aux abords de sa trame
principale, qui conserve tout de même une importance particulière
cela va s’en dire, une multitude d’autres projets de reportage,
donnant ainsi à une incursion déjà saisissante
de l’univers journalistique un portrait d’ensemble beaucoup
plus réaliste. The Insider explore donc par le biais
d’un sujet éternellement chaud de l’actualité
et du domaine de la santé (le tabagisme), le pouvoir qu’ont
les médias sur l’opinion publique, ainsi que l’importance
de la vérité qui n’est cependant pas toujours le
mot d’ordre. Entrent en scènes de cette manière
les fameuses campagnes de salissage où l’essentiel n’est
pas de discréditer les dires d’un individu, mais bien l’individu
en soi. Les médias peuvent être une arme redoutable, mais
où un seul homme n’est souvent pas de taille face au pouvoir
corporatif.
La réalisation de Michael Mann pour The Insider fait
également part d’un travail colossal, peut-être même
le plus accompli du réalisateur à ce jour. Cet effort
se veut d’ailleurs un film de transition venant habilement mélanger
son style passé très maniéré à une
approche qu’il allait adopter et peaufiner plus tard dans Ali
et Collateral, optant pour quelque chose de plus réaliste.
Le plus intéressant dans ce cas-ci, c’est que Mann utilise
ces deux facettes afin de servir le scénario. Ce dernier penchera
donc pour une caméra à l’épaule et énormément
de gros plans pour esquisser l’instabilité de l’univers
personnel de Jeffrey Wigand, Russell Crowe se révèle d'ailleurs
brillant dans ce premier rôle d’envergure, et adoptera une
allure esthétique plus raffinée lorsque le film se retrouve
dans un entourage plus professionnel, ou lorsque Wigand est en présence
d’actants de ce milieu. Une sublime composition visuelle à
laquelle s’ajoute une photographie hallucinante se jouant parfaitement
des couleurs habituelles des films du réalisateur américain,
accordant une fois de plus énormément d’importance
au bleu et au vert, ainsi qu’une superbe trame sonore majoritairement
composée par l’ex-Dead Can Dance Lisa Gerrard.
Michael Mann a donc signé après sa fresque à grand
déploiement Heat un autre tour de force où comme
à l’habitude sa maitrise incomparable de son univers cinématographique
y est pour beaucoup, dépeignant cette fois-ci des évènements
plus singuliers, mais tout aussi prenant. Un film aussi riche visuellement
qu’au niveau de ses thématiques, jouant à l’occasion
la carte du symbolisme sans que cela n’en devienne abusif. Et
comme on se retrouve en plein coeur du monde de la télévision,
l’effort de Mann mesure tout aussi adroitement la force d’impact
de l’image, faisant en ce sens une belle démonstration
de l’importance du montage dans ce processus. The Insider
fait donc part d’un héroïsme peu exploité qui
n’a rien à voir avec les gros bras, les armes ou ces chanteurs
quétaines qu’on nous demande d’idolâtrer, et
offre plutôt un dessin brillant de la détermination inlassable
de deux individus prêts à sacrifier beaucoup pour ce qu’ils
croient juste.
Version française : L'Initié
Scénario : Eric Roth, Michael Mann, Marie Brenner (article)
Distribution : Al Pacino, Russell Crowe, Christopher Plummer,
Diane Venora
Durée : 157 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 30 Avril 2005
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