INDIANA JONES AND THE KINGDOM OF THE CRYSTAL
SKULL (2008)
Steven Spielberg
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Les aventures d'Indiana Jones se sont toujours démarquées
du lot par leur petit côté vétuste, légèrement
anachronique. En plein coeur des années 80, elles évoquaient
selon une logique de rapiéçage par ailleurs parfaitement
post-moderne les vieux serials poussiéreux des années
40. La question était donc inévitable: comment la vénérable
franchise allait-elle encaisser ce passage si souvent repoussé
à l'ère numérique que constitue Indiana Jones
and the Kingdom of the Crystal Skull? Hommage bon enfant au cinéma
d'une autre époque en 1981, Raiders of the Lost Ark
lui-même nous apparaît aujourd'hui comme un film d'une autre
époque bien qu'il n'ait pas pris une ride en termes de divertissement
pur ; ironiquement, ses créateurs comptent parmi les premiers
pionniers - et plus ardents défenseurs - du nouveau cinéma
informatique qui fait aujourd'hui la loi dans les salles climatisées
des multiplex du monde entier. George Lucas en demeure l'une des emblèmes
les plus controversées, et sa seconde trilogie des Star Wars
demeure l'exemple par excellence du blockbuster contemporain à
mi-chemin entre le film d'animation et le jeu vidéo. D'un point
de vue purement esthétique, George Lucas est tout sauf nostalgique
; le cinéma tel qu'il l'envisage pousse l'audace jusqu'à
corriger son propre passé, logique révisionniste qui a
tout pour irriter les puristes de la pellicule et autres tenants de
la théorie du film comme « objet historique » fixe.
En ce sens, le premier volet de cette saga constituait un précédent
à ce que propose Lucas aujourd'hui: le cinéma y existait
au-delà de toute temporalité, les notions de passé
et de présent s'y fondant en un gigantesque imaginaire collectif
- une mythologie populaire où tous peuvent se permettre de piger
ce que bon leur semble pour le modifier à leur guise. L'image
du pilleur de tombes glorifié s'avère particulièrement
appropriée, résumant volontairement ou non une opération
«d'archéologie» cinématographique qui boucle
enfin la boucle avec Kingdom of the Crystal Skull: après
avoir puisé dans le cinéma d'aventures d'autrefois, le
tandem Spielberg/Lucas cannibalise avec ce quatrième Indy sa
propre mythologie. En ramenant Indiana Jones au grand écran,
ces deux rois du box-office des années 70 capitalisent sur la
nostalgie du public pour une figure-amalgame qui carbure elle-même
essentiellement au souvenir et à la nostalgie. Mais le succès
des trois premiers films de la série ne reposait pas uniquement
sur la soif des foules pour une imagerie sortie tout droit du passé
; Raiders of the Lost Ark demeure à ce jour un incontestable
classique en son genre parce qu'il offre une sorte de condensé
définitif du genre qu'il singe avec enthousiasme. Et, à
ce niveau, force est d'admettre qu'Indiana Jones and the Kingdom
of the Crystal Skull livre la marchandise sans trop sentir le réchauffé
- ce qui en soi tient de l'exploit.
Certes, ce retour tant attendu du professeur Jones pirate le gros de
sa prémisse au premier épisode de la série déjà
ressassé dans The Last Crusade: une puissance étrangère
cherchant à prendre les devants dans la course à l'armement
s'est lancée sur la piste d'un vieux trésor enfoui au
détour d'une vieille légende, et compte bien tirer profit
de ses pouvoirs surnaturels pour dominer le monde. Mais Kingdom
of the Crystal Skull, à la différence de ses prédécesseurs,
se déroule dans les années cinquante. Les cruels Nazis
ont cédé la place aux vilains Soviets, et les préoccupations
d'ordre bibliques ont été déclassées dans
l'esprit des gens par les soucoupes volantes. À cet égard,
le nouvel Indiana Jones est un film bien de son époque
d'adoption - celle des banlieues idylliques et du rock 'n roll balbutiant.
Harrison Ford y joue un héros fatigué, au bord de la retraite...
que certains jeunes loups du FBI soupçonnent même d'être
un sympathisant communiste. Bref, les États-Unis sont en pleine
Guerre froide et la série s'adapte à ce contexte avec
l'esprit manichéen qu'on lui connaît. Mais cette atmosphère
de péril rouge lui sied bien, lui permettant de se renouveler
un tantinet sans trop se distancier de ses racines: et le discours de
la glaciale Irina Spalko (Cate Blanchett) sur une hypothétique
prise de contrôle psychique de l'Amérique est un petit
joyau de paranoïa à l'ancienne.
Dans l'ensemble, le film se regarde ainsi avec un étonnant plaisir.
Harrison Ford, après s'être compromis dans une série
de productions médiocres au cours des dernières années,
est visiblement content de renouer avec ce personnage qui l'a rendu
célèbre. Le scénario, qui multiplie les références
à son âge avancé, garde intacte « l'humanité
» d'Indiana Jones, personnage théoriquement caricatural
que Ford a toujours interprété avec un habile mélange
de sobriété et d'humour ; et c'est finalement ce côté
chaleureux qui triomphe sur les excès numériques de la
mise en scène. Bien entendu, Kingdom of the Crystall Skull
souffre des progrès technologiques qui ont soutiré aux
séquences d'action leur tangibilité et leur réalisme
physique ; et la direction photo caractéristique de Janusz Kaminski
ne reproduit pas malgré ses efforts louables le charme vieillot
que dégageait celle de Douglas Slocombe. Visuellement, le film
n'a tout simplement pas la vigueur et le style cru de ses prédécesseurs.
Il est artificiellement léché, et abonde de détails
un peu douteux dont on attribuera la paternité à l'amour
débonnaire de George Lucas pour les possibilités soi-disant
sans limites d'un ordinateur. Ces affreuses marmottes numériques
sortent sans l'ombre d'un doute de son bestiaire, et on peut l'imaginer
soufflant à l'oreille de son camarade Spielberg l'idée
franchement sotte d'envoyer Shia LaBeouf jouer à Tarzan avec
une poignée de singes.
Malheureusement, ce sont ces quelques erreurs de parcours que retiendront
avec hargne plusieurs spectateurs alors que The Kingdom of the Crystal
Skull s'avère dans l'ensemble une réussite modeste
mais bien réelle. En fin de compte, cette quatrième escapade
de l'archéologue offre à sa légende un dernier
tour de piste qui, sans être essentiel, demeure fort sympathique.
Blanchett, tout bonnement parfaite en espionne soviétique, semble
tout droit sortie des pages jaunies d'un comic book. LaBeouf amuse en
greaser narquois et, à défaut de valoir Sean Connery,
offre à Indy un compagnon de route autrement moins racoleur que
le Short Round de The Temple of Doom. Quant à Karen
Allen, son sourire ravi en dit long sur la nature même de cette
grosse réunion de famille. Car, malgré ses inévitables
motivations commerciales, l'entreprise ne sent jamais l'obligation contractuelle
ennuyée: Lucas, Spielberg et Ford rendent cette fois un hommage
affectueux à leur création collective plus encore qu'au
cinéma d'aventure qu'ils continuent de piller à leur guise.
Bref, on sent encore un coeur battre derrière la machine et,
sans égaler la trilogie originale dont il ne peut qu'imiter tant
bien que mal le charme, cet épilogue tardif semble somme toute
justifié et clôt la populaire franchise d'une digne manière.
Compte tenu la feuille de route de Lucas, on pouvait craindre bien pire...
Version française : Indiana Jones et le Royaume du Crâne
de Cristal
Scénario : David Koepp, George Lucas, Jeff Nathanson
Distribution : Harrison Ford, Cate Blanchett, Karen Allen, Shia
Labeouf
Durée : 124 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 28 Mai 2008
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