IMPORT/EXPORT (2007)
Ulrich Seidl
Par Louis Filiatrault
Le réalisateur Ulrich Seidl peut se compter chanceux d'occuper
le titre de producteur sur ses propres projets, car il se trouve sans
doute peu de particuliers qui afficheraient la volonté (financière
ou artistique) de le soutenir. Non pas que ses films soient de mauvaise
qualité, mais force est d'admettre que l'Autrichien entretient
une oeuvre d'une âpreté rare dans le cinéma contemporain,
et ce même dans les coins les plus reculés de l'Europe.
Un caractère hostile que le documentariste d'expérience,
hors de tout doute, sait manier avec force, et qu'il se montre ici capable
de tempérer d'une compassion jusque-là inédite.
Mais Import/Export est un film dont le potentiel thématique
notable ne semble pas mené jusqu'au bout, et ce malgré
sa durée dépassant la moyenne habituelle d'un long-métrage.
Quelques facteurs de nature éthique viennent aussi restreindre
son accessibilité, mais ses principales failles se situent dans
le déséquilibre d'un scénario binaire aux intentions
lâchement définies.
Dans un premier temps, le film nous fait partager la trajectoire d'Olga,
infirmière ukrainienne vivant dans la misère avec sa mère
et son bébé. Constatant l'impossibilité de subvenir
à ses besoins sans recourir à des moyens drastiques, elle
choisit de quitter le pays pour l'Autriche, « Ouest mythique »
à échelle européenne, abandonnant le peu de choses
qu'elle avait pu bâtir. Profitant d'une mise en contexte saisissant
avec éloquence les principaux éléments du quotidien
de la belle jeune femme, la construction de ce récit s'avère
un échantillon par excellence de « réalisme social
» traditionnel, se collant aux efforts d'une héroïne
attachante soumise à des circonstances la dépassant. Quelques
tentatives d'intégration nous portent finalement jusqu'au département
de gériatrie d'un hôpital germanique, ce qui donne lieu
à une étude de milieu des plus intéressantes. C'est
aussi à ce stade que la mise en scène de Seidl - réunissant
plans fixes monolithiques et séquences à l'épaule
dans une facture somme toute exigeante - s'illustre avec le plus de
singularité. En effet, là où l'essentiel du déroulement
se consacre à décrire patiemment et sans flancher les
péripéties et conditions socio-économiques d'Olga
et de ses pairs, l'épisode hospitalier se prête particulièrement
à des passages d'une rare authenticité, observés
comme tels dans leur intégralité ; c'est le cas notamment
des dialogues fins de l'héroïne avec un vieil homme obèse
et cardiaque. Dénoncé par certains comme complaisant (autant
dans son portrait de la misère des aînés malades
que par ses images sexuelles pour ainsi dire crues), l'auteur ne laisse
pas moins le spectateur beaucoup plus lucide et sensible face à
la cause immigrante est-européenne, et fournit par ses abondantes
observations sociales une ample matière à réflexion.
Malheureusement, la seconde trame dont s'encombre Import/Export
ne s'avère pas aussi concluante. Commençant par présenter
sous des airs peu flatteurs son protagoniste (autrichien cette fois-ci),
« bum » de banlieue terrorisant sa petite amie et soumettant
sa carcasse musclée à un dur entraînement, le problème
de ce récit on ne pourrait plus parallèle sera de ne jamais
insuffler à la quête floue de son héros l'urgence
de celle de sa compagne. Là où les abus subis par Olga
apparaissent navrants, voire révoltants, les humiliations infligées
au patibulaire Paul apparaissent plutôt méritées,
s'avérant dérangeantes au premier degré mais peu
porteuses sur le plan psychologique. Opposé à une peinture
sociale franche et rigoureuse, ce portrait peu original d'une «
jeunesse sans repères » s'égare dans l'espace et
tarde à s'engager dans une direction réellement captivante
; direction qui se révèlera plus frustrante que pertinente.
En effet, Paul finira par accepter de s'embarquer avec son père
vaniteux et grossier dans des expéditions de trafiquage mécanique
divers à travers les pays d'Europe de l'Est. Mais à un
exposé révélateur des mécanismes de la «logique
d'exploitation» implicite aux actes des deux Viennois, Seidl préfère
manifestement les enjeux de la masculinité et du rapport père-fils
dysfonctionnel. On pourra bien sûr en retirer un certain discours
sur le commerce sexuel ; à ce titre, la visite de Paul dans un
HLM yougoslave afin de « faire ses preuves » donne à
voir une faune insalubre et engendre chez le héros un malaise
fort, synonyme d'une certaine prise de conscience. Mais une séquence-clé
dans une chambre d'hôtel, arborant d'abord les airs d'un moment
d'anthologie de cinéma-choc, prend un tournant pornographique
sordide en dépassant les bornes de l'exploitation, devenant simple
provocation mal dirigée. Le traitement esthétique s'avère
aussi empesé par une nonchalance redondante au niveau de la réalisation,
ne sachant pas toujours tirer le mieux des évidents passages
improvisés.
Certes, l'aspiration de Seidl et de sa coscénariste Veronika
Franz, à savoir de dynamiser le visionnement par le recours au
diptyque, est légitime et bien exécutée. Mais alors
que leur Canicule de 2001, composé pour sa part de six
pistes narratives, paraissait reconnaître l'aspect éminemment
fragmentaire de ses récits et s'assumer comme portrait d'ensemble,
la réduction du nombre de trajets semble ici suggérer
un renforcement du travail de complémentarité au niveau
thématique ; tâche que le duo n'accomplit qu'à moitié,
par l'entremise d'une pincée de rimes et juxtapositions élémentaires.
Que les deux protagonistes ne se croisent jamais physiquement, cela
passe encore ; que leurs histoires se développent à deux
rythmes complètement différents, proposant des observations
de natures aussi contrastées, est une autre paire de manches.
Qui plus est, l'alternance justifie les ellipses les plus arbitraires
et semble dénoter une difficulté à entretenir une
narration limpide et significative. Soucieux de ne pas tomber dans les
conventions, l'auteur a rassemblé des fictions peu compatibles
qui entre de bonnes mains auraient pu se tenir parfaitement sur leurs
propres termes, mais dont la disparité diminue la portée.
En somme, dans le contexte d'un nouvel « éclatement des
frontières » et d'un renouvellement du réalisme
au service des minorités, Import/Export vaut certainement
un léger détour. Mais face à la maîtrise
intellectuelle et artistique démontrée par un cinéaste
comme Fatih Akin dans son film De l'autre côté,
ce portrait d'un monde souterrain demeure encore trop superficiel et
hasardeux pour être incontournable.
Version française : -
Scénario :
Veronika Franz, Ulrich Seidl
Distribution :
Ekateryna Rak, Paul Hofmann, Michael Thomas, Maria
Hofstätter
Durée :
141 minutes
Origine :
Autriche
Publiée le :
22 Août 2008