THE IMMACULATE CONCEPTION OF LITTLE DIZZLE
(2009)
David Russo
Par Mathieu Li-Goyette
« Fuck you ». C’est le message que Dory reçoit
dans une bouteille larguée à la mer par un inconnu. Perplexe
que même l’anonymat se permette de l’insulter, Dory
va travailler, se fâche contre une collègue superficielle,
devient concierge, trouve des biscuits bourrés aux hormones et
tombe enceinte d’un petit poisson bleu. On résume ainsi
assez bien le fil conducteur du premier long-métrage de David
Russo qui roule à un rythme rare dans le cinéma et d’autant
plus efficace qu’il fait de son esthétique hachée
un gag qui se replie sur lui-même constamment. Si certains clament
déjà la faute au préfini « Sundance »
de plus en plus populaire depuis les succès triomphants des Little
Miss Sunshine et Juno, The Immaculate Conception of
Little Dizzle amorce quant à lui une réflexion sur
le virtuel numérique apposé à un réel réaliste
sensiblement différente de l’usuelle approche postmoderne.
Conscient de ses propres effets visuels, ceux-ci s’insinuent au
risque de briser l’impression cinématographique du cinéma
classique dans une prétention bricolée et prise avec les
moyens de la production. C’est-à-dire que Russo projette
à l’écran un récit linéaire qui n’a
d’autre intérêt que le «mixage» de l’image
qu’il propose (j’évite de parler de montage puisqu’il
est bien question de modifier et mélanger différents registres
d’une même image) et les dialogues en béton qui font
résonner l’aspect comique bien plus efficacement que les
autres tensions tentées par le Little Dizzle.
Film à l’excentricité ambitieuse, Little Dizzle
poursuit la tendance actuelle de présenter un discours anti-conservatisme
en s’attaquant aux « vilaines corporations ». En admettant
la vérité de ces multiples théories du complot,
les protagonistes se prêtent au même jeu hallucinatoire
que les biscuits leur proposent. Le détournement exploite ensuite
les possibilités de l’animation image par image et celles
de l’informatique lors de moments très curieux où
le poisson bleu se manifeste en faisant intrusion dans la vue des nouveaux
dopés. Sorte de voyage en LSD du 21e siècle, la nouvelle
drogue est celle des compagnies, celle des produits qu’elles essaient
de nous vendre régulièrement contre des besoins qui ne
coïncident pourtant pas avec ce qu’ils ont à offrir.
Russo parle des corporations comme des entités au chef de file
vil et corrompu qui profite de son bureau isolé pour écouté
de la porno le soir venu. Chanceux que le monde est, Dory et ses amis
concierges tomberont dans le panneau des biscuits planifiés par
une assistante bien plantureuse et clichée. Menés par
des buts opposés, un artiste opportuniste, un ex-programmeur
informatique, un concierge-né, sa copine nymphomane et leur patron
pseudo-transsexuel font tous équipe pour démasquer les
plans de la compagnie, les traîner en justice et ramasser leurs
dividendes à la ligne d’arrivée.
Apparemment rebel dans l’âme, Russo s’attaque à
tout ce qu’il peut penser de pathétique dans la société
occidentale qu’il dépeint comme devant être nettoyé
par des concierges de la crasse bureaucratique qui la recouvre. Virtuellement,
toutes les religions y passent pendant que Dory se convertit à
chacune d’elle pour trouver réponse à ses tourments,
les groupes de discussions remplis de bobards, les relations de bureau,
l’ivresse du 4 juillet, Russo pique chaque sujet sans trop y apporter
autre commentaires qu’un bref sarcasme qui, s’il ne s’avère
pas des plus pertinents, colle à la peau d’un film qui
fait du nombre et de l’exhaustivité son principal pari.
Le visuel soutient la donne en projetant des figures abstraites sur
les murs ou en mettant des caches sur le sexe des individus en train
de faire l’amour. La bande-sonore distrait le spectateur par des
distorsions qui s’apparentent à des bruits sous-marins
(le poisson bleu voyons) et qui donne un rythme en valse à une
mise en scène éclatée. Repoussant les limites des
conventions, les accélérés, les ralentis, les jeux
de montage jouent en faveur d’une expérience de concierge
à la première personne où le banal devient rapide
et les jeux deviennent simplets. Little Dizzle présente
ces enfants qui jouent contre les grands et Russo nous lie au destin
sans bon sens de ses différents archétypes dans l’espoir
que chacun s’y sentira interpellé et ensuite indigné.
Mis à part les audaces visuelles du récit, la réussite
de Russo tient à avoir fait de son film une expérience
balancée qui n’est pas pour autant militante. Nos héros
perdent au final, les poissons meurent ou retournent à l’océan,
les épilogues s’éparpillent à travers la
ville où il y a encore plusieurs traces de l’aventure.
Faibles devant si puissants, les concierges ont fait leur part du boulot
et c’est le temps pour eux de laisser nager de leurs propres nageoires
les bébés poissons qu’ils ont protégé
le temps d’une nuit. Ceux-ci leur aura permis de goûter
à la maternité (lors d’une scène particulièrement
hilarante) et de s’offenser contre l’envahisseur investisseur
et les sensibiliser eux-mêmes contre les arnaques du marché.
Toute cette mascarade aura aussi permis à la distribution et
à Russo lui-même de faire un premier pas dans le long-métrage
et de signer une oeuvre jeune d’esprit, mais si riche en énergie
qu’elle fait état de la passion pour un cinéma de
stoner bien plus pernicieux et attrayant que les dernières tentatives
- celle de David Gordon Green avec Pineapple Express en tête
de liste - qui faisaient du genre un recyclage des gags pince-sans-rire
typiques en apportant aux délinquants du cinéma un potentiel
tout juste comique. The Immaculate Conception of Little Dizzle
est, par contre, justement immaculé de substances illicites,
éloigné des facilités cinématographiques
contagieuses du nouveau cinéma indépendant américain.
Servi par ses batifoleries, on comprendra Russo alors qu’il termine
son film par le même dispositif qui l’aura ouvert. «
Fuck you » ouvrait la parade, « I’m sorry
» la ferme avec un Dory mature qui regarde vers l’avenir
que lui offre l’océan lointain rempli de messages en bouteilles
et de poissons azurs et radioactifs.
Version française : -
Scénario :
David Russo
Distribution :
Marshall Allman, Melissa D. Brown, Jay Wesley Cochran,
S. Joe Downing
Durée :
98 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
31 Juillet 2009