THE ICE STORM (1997)
Ang Lee
Par Jean-François Vandeuren
Que ce soit pour ses réussites ou ses excès, le portrait
d’une génération ou d’une époque suit
la plupart du temps un cheminement intérieur. Cette caractéristique
mène du coup à une esquisse plus ou moins claustrophobe
qui s’intéresse rarement aux difficultés des acteurs
extérieurs à accepter et se conformer à une panoplie
de nouvelles réalités au point d’en faire un enjeu
en soi. Dans The Ice Storm, Ang Lee dépeint d’un
angle plutôt inusité la libération sexuelle des
années 60 et 70 et les changements drastiques que subit le moule
familial traditionnel durant cette même période aux États-Unis.
Deux familles nous sont introduites : les Hood et les Carver. Le cinéaste
d’origine taïwanaise scrute alors les désirs et les
frustrations qui les unissent et les divisent, autant à l’intérieur
d’une même famille que dans la communauté en général.
La carte postale des années 50 mettant en valeur une famille
souriante habitant la ville américaine modèle n’est
plus. Devant l’éveil sexuel de leurs progénitures,
les parents seront de plus en plus tentés de mettre leurs obligations
familiales de côté et de renouer avec la liberté
et le côté irréfléchi de l’adolescence.
En plus de former un clin d’œil involontaire à la
tournure qu’allaient prendre quelques années plus tard
la carrière respective de Tobey Maguire (Spider-Man)
et de Ang Lee (Hulk), le parallèle illustré au
début du film entre les Fantastic Four et les difficultés
rencontrées par les Hood et les Carver se révèle
en fin de compte des plus pertinents. Soutenu à la scénarisation
par son collègue de longue date James Schamus, Ang Lee fait briller
son cinquième long-métrage par la neutralité avec
laquelle il place en opposition ces deux générations.
Ironiquement, toutes deux visent sensiblement le même genre de
buts et brûleront bon nombre d’étapes pour arriver
à leurs fins. D’un côté, les adolescents désireront
sortir le plus rapidement possible du monde de l’enfance sans
considérer l’importance des gestes qu’ils posent.
De l’autre, certains adultes placeront constamment l’harmonie
familiale sur la corde raide de manière consciente pour assouvir
leurs pulsions, sexuelles pour la plupart. Pourtant, ce n’est
pas pour malfaire que ces individus agissent de la sorte, mais plutôt
par désespoir de combler un vide. Lee et Schamus compliquent
d’autant plus savamment les choses pour ces derniers en les positionnant
dans un cadre qui ne saurait leur donner pleine satisfaction.
Le titre du film fait évidemment référence à
une tempête de verglas, laquelle aura lieu au moment où
tous les personnages auront l’occasion de remettre de l’ordre
dans un fouillis interpersonnel déjà considérable,
ou d’ajouter un peu plus d’huile sur le feu. Le génie
d’Ang Lee est encore une fois mis en évidence ici par la
manière dont il positionne lentement chaque élément
de tension pour en arriver au final à un point de rupture particulièrement
fracassant. Le réalisateur n’y va toutefois pas de longs
affrontements verbaux et les frictions entre ses protagonistes sont
pour la plupart subtilement introduites à l'intérieur
du quotidien de ces derniers. Le cinéaste cache ainsi son jeu
dans l’accumulation de petits détails. Quelques verres
de vodka avec de la glace ici et là introduisent parfaitement
la tempête personnelle vers laquelle se dirige le personnage de
Ben Hood (Kevin Kline), par exemple, dont l’apogée se traduira
dans son cas par une beuverie démesurée. Entre-temps,
Lee nous place dans une position plutôt inconfortable. Celle-ci
s’explique notamment par le manque d’union entre les différents
personnages qui semblent tous isolés à l’intérieur
d’une réalité qui n’a souvent rien à
voir avec celle des autres. Les séquences tentant de nous faire
croire le contraire sont pourtant nombreuses. Mais la mise en scène
des plus calculées d’Ang Lee révèle à
tout coup d'une manière extrêmement nuancée toute
la fausseté que ses sujets s’efforcent de camoufler.
Ang Lee met en relief cet univers mensonger grâce à la
finesse exceptionnelle de sa réalisation à laquelle il
nous a habitué depuis ses débuts et qui continue encore
aujourd’hui de faire sa renommée. Sa mise en scène
se traduit dans The Ice Storm par des élans plutôt
singuliers, mais extrêmement précis, auxquels il confère
une touche poétique qui ne vient jamais engourdir son propos.
Celle-ci deviendra d’ailleurs son cheval de bataille lors de la
réalisation de ses deux projets suivants, Ride With the Devil
et le superbe Crouching Tiger, Hidden Dragon. L’une des
plus grandes qualités du réalisateur demeure toutefois
sa patience. Ce dernier ne cherche ainsi jamais à précipiter
les choses, mais parvient malgré tout à extirper avec
fougue l’intensité sous-jacente de chaque séquence.
L’ensemble est complété par une distribution campant
d’une manière extraordinaire cette galette de personnages
tous plus mal dans leur peau les uns que les autres. The Ice Storm
marque ainsi à la fois la fin et le début d’une
ère sur un ton qui n’a rien de tragique ou de moralisateur.
De toute façon, l'avenir n'annonçait pas que de mauvaises
choses pour l'une ou l'autre des deux générations abordées
dans le présent effort. Du moins, pas selon Lee et Schamus.
Version française :
La Tempête de glace
Scénario :
James Schamus, Rick Moody (roman)
Distribution :
Kevin Kline, Joan Allen, Sigourney Weaver, Tobey
Maguire
Durée :
112 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Septembre 2006