ICE CREAM (2007)
Jean Leclerc
Par Nicolas Krief
Quand on veut à tout prix faire partie d’un vague, d’un
courant ou d’une tendance, souvent pour se donner un air cool
et branché, on risque de tomber dans le n’importe quoi
non assumé.
Le Dogme 95, créé par Lars Von Trier et Thomas Vintenberg
en 1995 avait pour but d’aller à l’encontre du cinéma
commercial hollywoodien, en voici les dix règles :
1. Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors
ne doivent pas être amenés (si on a besoin d'un accessoire
particulier pour l'histoire, choisir un endroit où cet accessoire
est présent).
2. Le son ne doit jamais être réalisé à part
des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée
à moins qu'elle ne soit jouée pendant que la scène
est filmée).
3. La caméra doit être portée à la main.
Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé.
(Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra
se trouve; le tournage doit se faire là où le film se
déroule).
4. Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial
n'est pas acceptable. (S'il n'y a pas assez de lumière, la scène
doit être coupée, ou une simple lampe attachée à
la caméra).
5. Tout traitement optique ou filtre est interdit.
6. Le film ne doit pas contenir d'action de façon superficielle.
(Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).
7. Les détournements temporels et géographiques sont interdits.
(C'est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).
8. Les films de genre ne sont pas acceptables.
9. Le format du film doit être le format académique 35mm.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.
Quelques films basés sur ces principes ont été
réalisés depuis 1995, dont Les Idiots de Lars
Von Trier ou Julien Donkey-Boy d’Harmony Korine, mais
jamais les dix règles n’ont été respectées
à la lettre, en particulier la dixième. Voila, nous sommes
situés.
Ice Cream, de l’artiste anciennement connu sous le nom
de Jean Leloup, est un film qui possède certaines caractéristiques
du Dogme ; caméra à la main, son direct, le film est tourné
à Hanoi et l’histoire se déroule à Hanoi,
mais la comparaison s’arrête là. C’est pourquoi
le film se réclame plutôt du FreeDogme, une version allégée
où l'on prend du Dogme ce qui nous arrange.
Emmanuelle, un travesti ex-prostitué aveugle, vit avec son neveu
qu’elle a adopté lorsqu’il était enfant. Celui-ci
tombe amoureux de Tacky, une jeune prostituée blanche qui se
révèle être celle qui a brûlé les yeux
d’Emmanuelle un an plus tôt. Pendant ce temps, un couple
formé d’une actrice ratée, Garance, et d’un
homme appelé «le japonais» ont des problèmes
avec leur fils Nicolas, un homosexuel pas encore assumé et obèse.
Jean Leclerc nous livre un scénario rempli de trous que nous
devons remplir de notre mieux afin de comprendre cette histoire absurde
et plutôt ridicule. Il en sort un film qui a comme premier objectif
de contourner tout ce qui s’apparente au cinéma commercial,
mettant ainsi de côté le souci artistique plus conventionnel.
Visuellement parlant, Ice Cream dégoûte par son
manque de classe et de jugement. Les images, souvent très crues,
sont toujours très mal cadrées, peut-être par souci
d’authenticité, ou par simple provocation. Les personnages
qu’on y présente sont soient très laids, soient
enlaidis par la caméra de Leclerc. Un choix esthétique
très choquant, mais pas vraiment justifiable. Durant les 80 minutes
du film, pas un plan n’a le même «room tone»,
on assiste encore une fois à une volonté d’aller
complètement à l’encontre des normes établies
par Hollywood, mais la question c'est pourquoi vouloir à ce point
dénoncer le système hollywoodien en faisant l’inverse
de tout ce qui est commercial? Car ce genre de discours ne date pas
d’hier.
Le film de Deadwolf Leclerc ne contient donc pas vraiment de discours
pertinent, sinon qu’un brûlot totalement inutile contre
le cinéma commercial, puisque des centaines de réalisateur
depuis plus d’un demi siècle s’attardent à
combattre le cinéma hollywoodien classique. Ice Cream,
avec son look trash presque mal propre, manque donc complètement
d’originalité et ne réussit qu’à créer
un sentiment de malaise chez le petit spectateur surcaféiné
qu'est le rédacteur de ce texte, qui n'avait aucune idée
de ce qu'il allait voir. De plus, les comédiens sont d’une
incompétence hors des communs, de toute évidence mal dirigés
par un néophyte en la matière qui ne se préoccupe
aucunement de la qualité ou de l’authenticité du
jeu de ses acteurs. Certains d'entre eux sont même des professionnels,
dont Violette Chauvreau et Daniel Do; ceux-ci sont aussi pitoyables
que le reste de la distribution.
Des qualités? Oui il y en a quelques unes ; comme Jean Leclerc
est d’abord un talentueux musicien, il fallait s’attendre
à une trame sonore de qualité, et sur ce point, c’est
réussi. La musique n’est pas très présente,
elle n’accompagne quequelques plans par-ci par-là, mais
elle est agréable pour nos pauvres oreilles souillées
par les changement de «room tone» incessants et
insupportables. La chanson finale, interprétée par le
réalisateur, clot le niveau auditif du film sur une note positive,
car c'est une bonne chanson. De plus, nous connaissons tous la personnalité
étrange et amusante de Jean Leclerc pour l’avoir vu en
entrevue ou sur scène, il n’est donc pas très surprenant
de voir qu’il a un sens du gag bien aiguisé. Certaines
lignes sont très bien envoyées, et d’autres situations
créent simplement l’hilarité générale
dans la salle.
Je viens de vous décrire un film qui a pour première préoccupation
d’être différent, d’où son côté
trash/répugnant. Étant fan de John Waters et de Loydd
Kaufman, je crois être capable de faire la différence entre
du trash discursif, et du n’importe quoi, et croyez-moi, Ice
Cream c’est vraiment n’importe quoi. Du n'importe quoi
qui ne mène nul part, sinon qu'à cette grossière
conclusion: le cinéma commercial doit être combattu. Mais
à quel prix?
Version française : -
Scénario :
Jean Leclerc
Distribution :
Violette Chevreau, Huy Phong Doan
Durée :
80 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
20 Octobre 2007