THE HURT LOCKER (2008)
Kathryn Bigelow
Par Mathieu Li-Goyette
Enjeu patriotique aux États-Unis, enjeu ancillaire au sein de
nos frontières, la deuxième guerre du Golfe sert régulièrement
de rampe de lancement depuis les dernières présidentielles.
Le cycle Bush a amené sa grande part de collectivisation des
préoccupations puis un retour en force du film de guerre après
une décennie de gangstérisme et de science-fiction au
cinéma, laissant pour l’avenir des oeuvres d’actualité
tel que Black Hawk Down (Ridley Scott, 2001), Jarhead
(Sam Mendes, 2005) ou par prolongement dans In the Valley of Elah
(Paul Haggis, 2007) ou encore par la réflexion distanciée
de Redacted (Brian De Palma, 2007) entres autres oeuvres, évidemment.
S’il est dit que le cinéma américain se décline
à raison des décisions électorales du pays, le
corpus de son Histoire du cinéma en vient à détourner
étroitement sa ligne directrice au profit du goût de l’heure,
de la reconstitution (comme De Palma l’eut prouvé dans
son œuvre mésestimée) et de l’ambiguïté
divisée du peuple américain à savoir l’attitude
à avoir face au Moyen-Orient. Pouls du monde que sont les États-Unis,
c’est jusque dans les découvertes génériques
de Valse avec Bachir (2008) et Persepolis (2007) que
le monde semble n’avoir des yeux que pour ce peuple qu’on
semble découvrir cinématographiquement en dehors de son
créneau de cinéma national pour la première fois.
Porté à bout de bras par les chaînes d’informations,
le Moyen-Orient s’avère être le théâtre
cliché, voire même redondant d’une guerre sans fin
rappelant au reste du monde l’impérialisme américain
et l’extrémisme musulman. Et si la politique internationale
et ses médias servaient d’étendard à cette
guerre Sainte, en quoi le cinéma se réclamerait de la
fête?
Eversmann, en ce sens, désamorce des bombes. Il désamorce
des détonateurs, du C-4, des installations au plastique artisanales
et sauve des kamikazes à coup de front large et de pistolet.
Il n’a peur de rien, possède un passé obscur qu’on
tardera à nous dévoilé tout comme sa présence
se faisant patienter le temps d’une demi-heure. Il y a l’avant
et l’après « Eversmann », porte-couleurs du
courage insensé, buveur, fumeur et bête invétérée
prête à affronter la mort à chaque mois, chaque
jour, chaque seconde où le fil rouge d’un explosif à
fragmentation lui titille l’orgueil. Prototype américain
par excellence, viril à souhait et porté par des pulsions
animales, mais saines, son amitié avec un jeune irakien lui servira
de promontoire à la paternité laissée en «
land of the free and home the braves » entre les mains
d’une mère devenue mono-parentale par la force des choses
(détail qu’Hurt Locker semble écarter complètement
à la déception du spectateur plus compatissant que l’oeuvre
elle-même). En effet surtout des parenthèses servant à
réglementer la somme de scènes éreintantes par
de courts moments d’amitié interculturelle, les sentiments
proposés en dernier lieu par Bigelow se trouvent d’une
monotonie et d’un conventionnel excès.
Inexcusable sur plusieurs points, The Hurt Locker (métaphore
jouant sur la claustrophobie de la combinaison protectrice d’Eversmann)
se veut sur le seuil des enfers de la guerre. À mi-chemin entre
la décadence de ces lieux rouges et noirs par le feux, le sang
et la noirceur de la nuit, le périple acharné, dantesque
du soldat fou est interminable. La folie d’être dans la
combinaison coupant autant l’agilité que le danger rappelle
par moment cette barque d’un lointain Apocalypse Now.
Un voyage au coeur des ténèbres d’une guerre semblable
menée par un homme à la recherche d’un but, d’un
achèvement qui lui permettra un jour de revoir ses bien-aimés.
À la différence majeure que le film de Coppola proposait
une finale (même trois, mais ça c’est une autre histoire)
et une progression remarquable sur les réflexions de son capitaine
Willard, le film de Bigelow se prétend d’un cinéma
actuel, au jour le jour. Le personnage n’évolue plus, il
est soudainement devenu la guerre. Son métier n’est plus
un calvaire, mais bien un plaisir d’adrénaline alimenté
par un coéquipier trouillard et un adjoint rival; Eversmann s’offre
en fait la luxure de l’héroïsme total.The Hurt
Locker se voit broyé par la tension, son peu de substance
complètement désintégré sous l’énervement
des soldats, la sueur ruisselante et l’environnement complètement
vidé de toute âme. Plus aucune poésie, montée
dramatique, camaraderie quand la brutalité accule au pied du
mur une violence simplement différente, jamais opposée.
Dans un monde qu’on persiste à croire représenter
l’errance d’une compagnie américaine en Irak, le
périple exténuant du film provoque strangulation sans
autre raison que d’inclure un échantillon du combat outre-mer.
En tant qu’arme à double tranchant, le scénariste
Mark Boal (responsable de l’idée derrière In
the Valley of Elah) apporte une authenticité propre au récit
profitant d’une distribution expérimentée de second
rôles pour y jouer des soldats sans nom (autre que sur leurs uniformes)
sous la tutelle sadique de Kathryn Bigelow qui ne s'est vraisemblablement
jamais montré aussi apte à démontrer la compétition
cambrienne du monde masculin depuis ses Point Break et K-19:
The Widowmaker. D’une pensée tout autre que celle
de son ex-mari James Cameron, la cinéaste semble pourtant tirer
son épingle du jeu au terme d’un journal de bord inachevé
de plus de deux heures. Sans relâchement apparent (qui se veut
paradoxalement son plus grand manque), The Hurt Locker atteint
une apothéose certaine du culte militaire américain des
années 2000. À la vieille d’un changement de cap
radical pour les États-Unis, son cinéma, lui, se voit
peut-être comme jamais l’un des grands indicateurs de la
tournure récente des événements. Tout d’abord
glorifiée puis remise en question tout au long du double mandat
du dernier président, The Hurt Locker, sans être
un film activiste ou simplement conscient d’être la vitrine
d’une certaine vision, préfigure un raz-le-bol généraliste
qui lui, s’avérera fatal non plus au film de « guerre
», mais bien au film « militaire » tel que conçu
en tant que contre-attaque imaginaire au 11 septembre 2001.
Version française : -
Scénario :
Mark Boal
Distribution :
Jeremy Renner, Anthony Mackie, Brian Geraghty,
Guy Pearce
Durée :
130 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
18 Novembre 2008