HOLLAND (2009)
Thijs Gloger
Par Louis Filiatrault
Quand bien même le cinéma soit parlant depuis quatre-vingt
ans, le mutisme demeure l'un de ses outils d'expression les plus puissants.
Tout un pan de son histoire a vu en effet des metteurs en scène
divers privilégier les vides sonores et les bruits sur l'abondance
de dialogues, afin d'évoquer des états d'errance (Tsaï
Ming-Liang), des climats oppressants (Roy Andersson), et bien d'autres
types d'étrangeté. C'est donc à une longue tradition
d'oeuvres fortes que se mesure Thijs Gloger avec Holland, film
« silencieux » d'un panache considérable sur les
plans du fond comme de la forme. Se réclamant de l'influence
de l'écrivain Michel Houellebecq, le Néerlandais donne
forme à une angoisse inexpliquée, souvent étonnante,
composée de malaises anecdotiques et de récurrences aliénantes.
Malheureusement, ce deuxième film démontre aussi bien
qu'il ne suffit pas de dérouter pour atteindre à la profondeur,
et qu'aucun exercice esthétique, aussi radical soit-il, ne peut
pallier à une substance redondante et fondamentalement déficiente.
Suivant une logique bizarre, Holland relate les tribulations
d'une héroïne parfaitement dépourvue de personnalité,
passant plus de temps à se dévêtir et à s'allumer
des cigarettes qu'à faire quoi que ce soit d'autre. Gloger installe
rapidement les quelques lieux de son « drame » existentiel:
une boutique luxueuse et impersonnelle faisant office de lieu de travail
; un bungalow cossu abritant ceux qu'on suppose être la famille
de la jeune protagoniste (bien que...) ; et surtout, un appartement
sale, meublé d'une chaise et d'un matelas cerné, où
cette dernière ramènera plus d'un soupirant accosté
au pub local. C'est sur ce canevas pour le moins élémentaire
que le cinéaste élabore une première partie étonnamment
captivante, et ce, malgré l'absence de tout dialogue dramatique.
Enchaînant de façon percutante les scènes brèves
et les angles de vue étudiés, Holland met en scène
des rapports interpersonnels subtilement irréels, et surtout
d'une terrible vacuïté: parents et progéniture ne
semblent aucunement préoccupés par leur communication
inexistante, tandis que le sexe est consommé grassement, sans
passion, et condamné à ne connaître aucun lendemain.
Sans réinventer la roue d'un cinéma centré sur
l'absurdité contemporaine, l'effort se démarque suffisamment
des canons pour intriguer un certain temps.
Ceci étant dit, les motifs cycliques de Holland ne tardent
pas à montrer leurs limites, dynamitant peu à peu une
structure déjà fragile. Les passages de sexualité
crue, assez rares et frappants au départ pour susciter l'intérêt,
en arrivent à se suivre et s'étirer jusqu'à l'irritation
la plus complète, se neutralisant l'un l'autre à force
de similitudes ; pour leur part, les excentricités arbitraires
à tendance « lynchienne » s'introduisent dans l'ensemble
avec une arrogance toujours plus insistante. Certes, on pourrait tenter
d'attribuer un sens à cet alourdissement progressif du rythme
et de la matière ; mystérieusement, le récit voit
en effet l'héroïne abandonner son emploi, puis son entourage,
avant de se replier dans une sorte d'animalité statique, dépourvue
de surprises ou d'instants de bonheur. Mais toute bonne foi ne peut
excuser le fait que dans la poursuite de sa démarche, l'auteur
ne parvient à renouveler suffisamment sa plastique ou à
donner une direction assez nette à son film pour justifier ce
qui semble vouloir se prolonger indéfiniment (malgré une
maigre durée de 80 minutes). En bout de ligne, l'épandage
mortifiant et vaguement prétentieux de Gloger prend de véritables
allures de défi, nous intimant d'exercer notre privilège
de spectateur et de quitter la salle pour de bon, réalisant ainsi
le souhait le plus cher de son héroïne à l'existence
minable (voir le faux happy ending aux effets numériques
factices). Une idée culottée, sans doute, mais qui ne
s'en traduit pas moins par un dernier tiers profondément désagréable.
Le tout dernier plan du film résume bien l'esprit qui semble
avoir animé sa réalisation: partant d'un espace anonyme,
déjà aperçu à de multiples reprises, des
personnages inconnus remplissent tranquillement le cadre et composent
une scène insolite semblant vouloir s'étirer jusqu'à
l'infini. L'absurdité y est donnée en spectacle patient,
modérément stimulant pour un certain temps, mais finit
par trahir l'absence d'une étincelle singulière qui en
transcenderait la banalité. C'est exactement cette insuffisance
qui fait de Holland un film particulièrement frustrant,
car Thijs Gloger y démontre en fait une habileté bien
réelle à mettre en place les corps, exercer un regard
perçant, mais distancié, voire provoquer des moments de
suspension pure. Il faut voir à ce titre le plan d'ouverture
du film, parenthèse qu'on croirait sortie d'un cauchemar, ou
encore certaines juxtapositions brutales n'ayant rien à envier
aux moments les plus éloquents du cinéma d'Ulrich Seidl.
Expérience d'épuration dramatique aux fondements tout
à fait louables, Holland se bute en somme à une
vision complaisante de la détresse humaine, et échoue
à lui rendre une consistance digne d'intérêt. En
attendant que son auteur mette un peu d'ordre dans ses idées,
ce film d'un noir cinglant nous fournit une occasion intrigante, mais
trop peu valable, de célébrer le cinéma des Pays-Bas.
Version française : -
Scénario :
Thijs Glober, Rene Houwen
Distribution :
Bregtje Wolters, Harry Kuypers, Nynke Nijp, Ines
Kostic
Durée :
79 minutes
Origine :
Pays-Bas
Publiée le :
6 Octobre 2009