HIGH FIDELITY (2000)
Stephen Frears
Par Jean-François Vandeuren
Contrairement à certains individus en situation de crise amoureuse,
nous ne pourrons jamais reprocher à cette adaptation de l’excellent
High Fidelity de Nick Hornby de tourner autour du pot. Même
qu’il ne faudra attendre en soi qu’une seule seconde pour
voir le seizième long-métrage de Stephen Frears afficher
clairement ses couleurs. Le film s’ouvre ainsi sur un gros plan
d’un microsillon tournant sur lui-même, nous en faisant
suivre les longues lignes spiralées tandis qu’en jaillit
la pièce You’re Gonna Miss Me de la formation
texane 13th Floor Elevators. Rob (John Cusack) vient à ce moment
de se faire larguer par sa petite amie Laura (Iben Hjejle). Une question
est alors posée : Rob écoutait-il de la musique pop car
il était misérable, ou était-il misérable
parce qu’il écoutait de la musique pop? Les effets nocifs
de milliers d’heures d’exposition à toutes ces chansons
traitant de peines d’amour, d’abandons et d’angoisses
existentielles auraient-ils finalement causé sa perte? Au cours
de ce grand moment d’émotion, le protagoniste nous citera
en ordre chronologique les cinq ruptures amoureuses les plus pénibles
de sa vie. Le tout dans le but de découvrir pourquoi il semble
condamné à être perpétuellement rejeté
de la sorte. Au fil de cette profonde introspection, nous accompagnerons
Rob dans son quotidien, qui gravite essentiellement autour de son appartement
où gît une collection de disques que tous aimeraient posséder,
dans différents bars de tout acabit, et à la boutique
Championship Vinyl dont il est l’heureux propriétaire et
où il passe ses journées à trouver de nouveaux
sujets de palmarès musical avec ses comparses Dick (Todd Louiso)
et Barry (Jack Black). Essentiellement, l’objectif de Rob sera
- on s’en doute bien - de reconquérir le coeur de sa belle,
mais aussi de comprendre pourquoi il désire tant revoir celle-ci
à ses côtés…
Suite au succès du fort divertissant Grosse Pointe Blank
de 1997, les hauts dignitaires des studios Disney décidèrent
de refaire confiance à l’équipe de scénaristes
formée de John Cusack, Steve Pink et D.V. DeVincentis - à
laquelle s’ajouta Scott Rosenberg (Con Air) - pour rédiger
l’adaptation du populaire roman de Nick Hornby. Ces derniers étaient
d’ailleurs les candidats idéals pour mener un tel projet
à terme vus la passion débordante pour la musique et les
nombreux réflexes intellectuels qu’elle implique qui les
unissaient déjà aux principaux personnages du bouquin.
Il faut dire que High Fidelity n’était pas non
plus le livre le plus difficile à transposer à l’écran,
puisque la progression dramatique de celui-ci possédait déjà
des allures profondément cinématographiques sur papier.
En fait, le seul endroit où la réalisation du présent
effort aurait pu s’avérer moindrement problématique
était au niveau narratif alors que le ton employé par
Rob dans sa récapitulation de ses diverses histoires de ruptures
servies sur fond de références musicales se voulait en
soi éminemment personnel. Heureusement, plutôt que de se
tourner bêtement vers l’utilisation de la fameuse voix off,
les quatre scénaristes optèrent pour une solution beaucoup
plus créative - et de loin plus brillante - en répétant
le même stratagème qui avait fait en grande partie le charme
du remarquable Annie Hall de Woody Allen. Le personnage interprété
par John Cusack s’adressera ainsi tout au long du film à
la caméra, et à nous de surcroît, créant
une dynamique filmique tout ce qu’il y a de plus relevée,
mais aussi une relation de confiance pour le moins étroite entre
ce dernier et le spectateur. Rob apparaîtra du coup comme une
figure évidemment on ne peut plus sympathique, quoique légèrement
confuse, et surtout capable d’admettre ses torts - avec tout le
courage que peut apporter une bonne gorgée de bière.
Si les confidences de Rob auraient pu relever en soi uniquement de l’anecdotique,
celles-ci en diront tout de même beaucoup sur l’état
actuel des relations de couple et sur cet espèce de malaise mâle
qui aura pris des proportions pour le moins inquiétante au cours
des dernières années. Mais contrairement à la majorité
des projets ayant abordé ce sujet auparavant - et surtout après
la parution du présent exercice - le film de Stephen Frears s’affirme
encore aujourd’hui comme l’un des plus légitimes
alors qu’il tend véritablement vers une compréhension
du mode de pensée de son protagoniste plutôt que de chercher
à plonger celui-ci au coeur d’une mise en situation criarde
et à la limite du pathétique. Il faut dire que le présent
effort est aussi allègrement soutenu par un travail de mise en
scène particulièrement impressionnant alors que le cinéaste
britannique nous propose une facture esthétique somme toute assez
classique et épurée, mais à laquelle il réussit
à insuffler une telle vivacité qu’il finit par en
ressortir une oeuvre à la fois authentique et enivrante. Des
qualités que nous retrouvons également au niveau des dialogues,
qui ont été pour la plupart retranscrits tels quels, et
ce, sans que ceux-ci n’aient perdu de leur sens ou de leur efficacité
durant le long périple qui allait les faire passer du papier
à la pellicule. Frears et ses acolytes seront ainsi parvenus
à matérialiser cet univers à la perfection en concentrant
judicieusement leurs énergies sur la composition des décors
et le développement des personnages. Ceux-ci sont d’ailleurs
tous campés par une distribution tout ce qu’il y a de plus
convaincante au coeur de laquelle s’illustre évidemment
un John Cusack livrant une performance d’une justesse comique
et dramatique éblouissante, ainsi qu’un Jack Black survolté
dans un rôle qui allait lui ouvrir un peu plus les portes de la
grande cité hollywoodienne.
High Fidelity propose ainsi une vision réaliste et jamais
boursouflée d’une époque où le passage à
l’âge adulte aura été repoussé, dans
certains cas, de près d’une décennie et où
la fondation d’une famille aura laissé un peu plus la place
à des préoccupations superflues et une peur de plus en
plus féroce de l’engagement, et ce, dans tous les domaines
de l’existence. Le génie de Stephen Frears aura été
dans ce cas-ci de ne jamais faire l’erreur de se montrer tranchant
par rapport à l’une ou l’autre de ces deux tangentes.
La présente histoire marquera l’occasion pour Rob de changer
de mentalité sans que ce dernier ne soit nécessairement
forcé de tout sacrifier au passage. L’idée sera
simplement de découvrir comment il pourra conserver ses intérêts
tout en les intégrant à quelque chose d’un peu plus
durable. Les quatre scénaristes joueront d’ailleurs de
finesse en fin de parcours en condensant l’ensemble des petites
victoires de leur protagoniste en une séquence beaucoup plus
marquante à laquelle ils ajouteront une nouvelle piste dramatique
qui verra notre héros passer de la parole aux actes en produisant
un tout premier album. Les artisans du film auront évidemment
assemblé une trame sonore des plus stellaires pour l’occasion
en pigeant dans le répertoire d’artistes tels The Velvet
Underground, The Beta Band et Stevie Wonder, en plus de se permettre
une apparition mémorable du « Boss » en personne
: Bruce Springsteen. Il faut dire également que de tous les personnages
du récit, le seul confident vers qui Rob pouvait véritablement
se tourner était en fait nous, le spectateur. Un rôle privilégier
que ce dernier n’a pas tellement l’habitude de jouer et
qui ne fera que renforcer ici cette relation déjà extrêmement
puissante l’unissant à une oeuvre à laquelle, comme
un ami de longue date, il est toujours agréable de rendre visite
de temps à autre.
Version française : Haute fidélité
Scénario : D.V. DeVincentis, Steve Pink, John Cusack, Scott
Rosenberg
Distribution : John Cusack, Iben Jhejle, Jack Black, Todd Louiso
Durée : 113 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis
Publiée le : 31 Août 2009
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