UN HÉROS TRÈS DISCRET (1996)
Jacques Audiard
Par Jean-François Vandeuren
La Deuxième Guerre mondiale est vraisemblablement un sujet qui
alimentera le cinéma jusqu’à la fin des temps. Un
producteur cherchant à gagner sa croûte finira bien souvent
par nous faire grâce d’un récit historique recréant
avec la plus grande exactitude des batailles d’une rare violence,
ou d’exploits héroïques qui tombèrent progressivement
dans l’oubli. Ce que l’on remarqua par contre dans les années
90, c’est que ce sujet pouvait aussi être un générateur
de fiction assez impressionnant. La particularité dans ce cas-ci
fut la façon dont ces nouveaux efforts se concentrèrent
davantage sur le sort des individus, et pas nécessairement sur
celui des soldats. Il en ressortit des œuvres où le maître
de cérémonie nous présenta le côté
plus humain de cette tragédie en ayant parfois même recours
à l’humour. Le premier exemple qui nous vient à
l'esprit est évidemment le brillant La Vita è bella
de Roberto Benigni. Mais c’est également le cas, dans un
tout autre registre, pour Un héros très discret
de Jacques Audiard. Ce dernier relaya ici le conflit en toile de fond
pour nous raconter l’histoire insolite d’un homme qui ne
participa aucunement à cette guerre, mais qui pouvait pourtant
vous la raconter dans ses moindres détails.
Alors que la guerre est sur le point de prendre fin, un jeune homme
plutôt timide du nom d’Albert Dehousse (Mathieu Kassovitz)
quitte son petit village de province sur un coup de tête pour
se rendre à Paris. Le parcours de ce dernier sera alors motivé
par une série de rencontres extrêmement avantageuses et
d’un profond désir de devenir écrivain. Il commencera
ainsi à s’intéresser à la résistance,
voire la situation militaire dans son ensemble. Il s’infiltrera
alors dans divers rassemblements en côtoyant les gens comme s’il
s’agissait de vieux compagnons. Ces derniers n’y verront
que du feu. Son jeu sera d’ailleurs si crédible que l’armée
française finira même par lui décerner le grade
de lieutenant-colonel.
Basé sur le roman de Jean-François Deniau, le personnage
que nous présente Jacques Audiard est tout ce qu’il y a
de plus fictif. Pourtant, grâce à une orchestration pour
le moins étonnante - et même si l’on reconnaît
ce bon vieux Jean-Louis Trintignant, venant jouer, dès la première
scène du film, un Albert Dehousse plus âgé - on
ne pourra s’empêcher de croire à cette supercherie
les yeux fermés. Ce récit d’une solidité
à toute épreuve valut d’ailleurs à Audiard
et son complice Alain Le Henry le prix du meilleur scénario au
Festival De Cannes de 1996. Un héros très discret
nous fait ainsi vaciller entre ce qui semble être la reconstitution
dramatique de la vie de Dehousse pendant son enfance et la Seconde Grande
Guerre, et diverses entrevues d’individus affirmant l’avoir
côtoyer durant le conflit, nous informant de la trace qu’il
laissa par la suite, des romans qu’il écrivit, etc.
Jacques Audiard devança donc de quelques années Steven
Spielberg et son Catch Me If You Can, pour sa part réellement
inspiré d’une histoire vraie. Sans être précurseur
du côté pop de l’opus plus décontracté
du cinéaste américain, Un héros très
discret s’affiche néanmoins sous le même air
sympathique et une mise en scène aussi précise que raffinée.
Les deux films s’intéressent également à
des thématiques similaires, en particulier celles entourant cette
mince ligne séparant la vérité du mensonge et de
son organisation dans la création d’un personnage crédible.
Audiard appuie d’ailleurs cet aspect d’une manière
assez significative par le biais du volet aux allures de faux documentaire
de son effort. Les témoignages paraissent si véridiques
qu’ils finissent par nous berner de la même façon
que certains de ces personnages continuèrent de croire dur comme
fer aux exploits de Dehousse. Une partie importante de ce processus
passe aussi par le jeu à la fois candide et d’une grande
assurance de Mathieu Kassovitz. L’évolution de son personnage
à l'écran se veut d’ailleurs captivante. Audiard
finit d’autant plus par l’utiliser pour rendre un vibrant
hommage au travail d’écrivain, en évoquant cette
relation qu’entretiennent le public et ces personnages créés
de toutes pièces pour le cinéma ou la littérature.
Ces derniers alimentent parfois si fortement l’imaginaire collectif
qu’ils finissent par devenir authentiques.
Bref, ce deuxième long-métrage de Jacques Audiard nous
révélait déjà ses immenses talents de raconteur
et de metteur en scène. Son nom sera définitivement à
retenir dans le paysage du nouveau cinéma français dans
lequel il s’affiche comme étant l’un des plus importants
représentants de son époque. Un Héros très
discret aura beau fait de le prouver avant même qu’il
nous propose ces deux tours de force plus urbains qui feront finalement
sa renommée. Et comme les cinéastes les plus talentueux,
Audiard comprit qu’à partir d’un sujet et d’un
art où tout semble avoir été dit, une attention
particulière se doit désormais d’être accordée
à la forme pour tout artiste désirant se démarquer
du lot. Cette leçon, Jacques Audiard l'a visiblement bien apprise
et superbement mise en pratique.
Version française : -
Scénario :
Jacques Audiard, Alain Le Henry, Jean-François
Deniau (roman)
Distribution :
Mathieu Kassovitz, Anouk Grinberg, Sandrine Kiberlain
Durée :
107 minutes
Origine :
France
Publiée le :
23 Février 2006