THE HAUNTING (1963)
Robert Wise
Par Mathieu Li-Goyette
Plongée au coeur des forêts isolées de la Nouvelle-Angleterre,
la maison Hill a été érigée il y a de ça
90 ans. Une histoire sordide se cache derrière celle-ci, peuplée
de trahisons, de drames et de morts mystérieuses. Espace parfait
pour la recherche sur les maisons hantées compte tenu de son
aura, l’anthropologue John Markway rassemble une équipe
de deux femmes (une capable de clairvoyance, l’autre ayant été
témoin d’événements surnaturels) ainsi que
le neveu de la propriétaire pour passer quelques jours dans la
maison Hill. Il faudra être attentif pour être en mesure
de noter toutes anomalies. Le soir venu, des bruits inquiétants
surviennent, la rumeur d’un chien qui rôde dans le manoir
éloigne le professeur de ses cobayes, des ombres mesquines apparaissent
sur les murs par le pouvoir de quelque chose ou quelqu’un qui
croit bon de confirmer sa présence en y allant d’un avertissement
envers Eleanor (Julie Harris), l’invitée au passé
le plus troublé.
Ultime oeuvre dans le monde de l’horreur pour Robert Wise qui
y avait fait ses premières armes aux côtés de Val
Lewton chez la RKO, les sources à l’origine de ce projet
bien modeste aux côtés des oeuvres de 1961 et 1965 West
Side Story et The Sound of Music sont autant de descendances
lovecraftiennes qu’hitchcockiennes. Il ne faut d’ailleurs
pas plus qu’un plan de voiture et une première frénésie
musicale pour se croire dans le premier acte du Psycho du maître
anglais. L’entrée d’Eleanor sur les terres hantées
est celle de Marion Crane s’approchant du Motel Bates, le manoir
aux aspects gothiques, aux fenêtres pernicieuses semble être
la maison-mère de la demeure du spectre de la mère chez
Hitchcock. Tout comme chez son contemporain, Wise est un réalisateur
d’abord intéressé par la technique et l’écriture
du personnage classique. Ici appuyé par la voix off récurrente
d’Eleanor qui nous permet de facilement glisser entre l’effroi
et la prise de connaissance, la frayeur de The Haunting est
toute subjective et sujette au bon vouloir de son spectateur. Un homme
à la recherche du savoir, une maison perdue de Nouvelle-Angleterre,
une architecture décrite comme crochue, dénuée
d’angles droits, c’est finalement au génie de Lovecraft
à qui Wise doit la sombre aura de ses décors.
En tant que rare film d’horreur encore capable de se vanter de
son efficacité avant le tournant du genre vers une visée
plus corporelle, l’oeuvre de Wise tire a profit du meilleur des
films de fantômes. Pornographiques à bien des égards,
le slasher, le gore, le film à parasites, le film de torture,
le snuff movie, ces genres corporels (ou body horror) que l’on
considère aujourd’hui largement comme le propre de la production
du cinéma fantastique floue par sa popularité même
et la surenchère de ses stratégies de suspense l’effet
des films d’épouvantes à saveur littéraire.
Certainement verbomoteur, le scénario de Nelson Gidding ne laisse
aux apparitions du surnaturel que quelques minutes de prestation d'un
bout à l’autre du long-métrage de 1h50. Alors qu’il
tire sa force des dialogues entre Markway et Eleanor, le traitement
de l’occulte fait du film encore aujourd’hui un document
important pour réfléchir le paranormal. « Même
si vous ne croyez pas aux fantômes, vous ne pouvez pas renier
la terreur », l’avertissement lancé par la bande-annonce
prédit que le spectateur le plus incrédule sera du moins
confronté à la peur de la peur ou plutôt à
la peur de croire celle-ci capable de raidir nos membres, malmener notre
coeur, se jouer de notre esprit avec une résolution infernale
ne pouvant mener qu’à la mort. Comme chez Lovecraft, acquérir
du savoir sur le mal qui se cache en deçà de notre monde
est toujours faire un pas de plus vers la folie et, comme chez le célèbre
auteur, c’est encore l’instigateur qui se retrouvera survivant
en dépit de la perte de ses collègues dans une enquête
devenue fardeau pour la conscience.
Déterminé à convaincre l’audience de la possibilité
des fantômes à l’image, le professeur s’érige
contre le manque de coopération d’invités aux nerfs
solides, efficace dispositif pour positionner le spectateur comme quatrième
invité d’une soirée à la maison hantée.
Il ne faudra évidemment qu’attendre une nuit avant de voir
les premières manifestations surnaturelles étendre leur
emprise sur les protagonistes au moyen d’une mystification complète
de leur origine. Loin de s’accaparer des trucages par surimpressions
ou d’une anthropomorphisation de l’au-delà, Wise
manifeste la puissance du spectre de la maison Hill par la mise en scène
(à l’exception du dernier acte lors d’une dérogation
ultime où une porte se gonfle sous la pression de l’esprit).
Des travellings rapides, une caméra à l’épaule,
des angles obliques, des accélérés, l’esthétique
classique des studios que maîtrise si bien Wise ne lui sert ici
qu’à s’attacher au conventionnel de son film : des
personnes qui discutent, mangent et dorment dans une vieille maison.
Une fois la nuit tombée, les excentricités techniques
lui permettent par contre de faire de la caméra l’oeil
même de l’esprit frappeur qui tourmente ses victimes. Alors
que la caméra se jette sur Eleanor, elle tombe à la renverse
pour être ensuite rattrapée in extremis par le docteur
éberlué. Lorsqu’il fait jour, les longs travellings
dans les corridors de la maison amplifient l’effet évident
du labyrinthe qui n’est pourtant jamais porteur de l’esprit
malin. Avec quelques sauts musicaux en renfort, les personnages sont
surpris par leurs reflets dans le miroir, par les gargouilles et les
bustes ancestraux alors que le spectateur codifie lui-même le
classicisme de ces scènes en les opposants aux déchaînées
scènes nocturnes; en mesure de confronter son incrédulité
face à l'artifice occulte, il croit au moins désormais
en un cinéma bien maîtrisé capable de matérialiser
l’impossible par le propre de la mise en scène.
Version française :
La Maison du Diable
Scénario :
Nelson Gidding, Shirley Jackson (roman)
Distribution :
Julie Harris, Claire Bloom, Richard Johnson, Russ
Tamblyn
Durée :
112 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
2 Juillet 2009