HARRY POTTER AND THE ORDER OF THE PHOENIX (2007)
David Yates
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Beaucoup d'encre a déjà été versée
au sujet de la saga Harry Potter : elle aurait à elle
seule ressuscité une industrie littéraire chancelante,
alors que la droite chrétienne - prouvant une fois de plus l'absurdité
consommée de ses préoccupations - l'avait condamnée
sous le prétexte farfelu qu'elle présente une vision séduisante
du paganisme à de jeunes esprits encore malléables. Sa
contrepartie cinématographique n'a pas non plus été
exempte de controverses. Comme c'est l'usage lorsqu'une oeuvre culte
fait le saut au grand écran, des hordes de passionnés
se sont empressé de reprocher à ces adaptations - somme
toute fidèles à leur source - la moindre scène
coupée de même que le moindre écart de conduite
narratif. Malgré cela, la série s'est imposée au
fil des ans comme l'une des franchises les plus constantes d'une époque
où l'industrie cinématographique multiplie les suites
aseptisées pour assurer sa survie. En 2004, suite aux deux films
plus académiques dirigés par l'Américain Chris
Colombus, le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón signait
un troisième volet exceptionnellement maîtrisé :
truffée de sous-entendus renvoyant aux thématiques de
ses oeuvres plus personnelles, la mise en scène techniquement
aguerrie de son Prisoner of Azkaban soutenait à la fois
une certaine poésie visuelle ainsi qu'une diabolique efficacité,
que celle, plus convenue, du Goblet of Fire de Mike Newell
n'avait pu égaler.
Transfuge du monde de la télévision britannique, le réalisateur
David Yates s'attelle pour sa part à la tâche avec une
indéniable compétence, à défaut de briller
par son originalité; son travail respecte, à quelques
ruptures d'axe près, la philosophie de mise en scène invisible
propre au médium à travers lequel s'est édifiée
sa méthode. La caméra reste donc proche de ses sujets,
son mouvement constant reposant essentiellement sur le bon vieux champ/contre-champ,
lorsqu'elle n'est pas tenue à la main pendant des séquences
d'action tournées dans un style « documentaire »
actuellement à la mode. Le style de Yates est sobre et direct,
l'antithèse incarnée des films chargés et emphatiques
de Colombus. Son arrivée aux commandes est synonyme de gros bon
sens : une nécessité, compte tenu de la tendance qu'ont
eue les romans de J.K. Rowling à épaissir à vue
d'oeil à chaque tome. Dans cette optique, il est tout naturel
que Yates poursuive le processus d'émondage des romans entamé
avec le remarquable film de Cuarón pour mener à bon port
un cinquième Potter sans longueurs notables, au ton
nettement plus sombre que ses prédécesseurs.
Bref, les constatations habituelles sont une fois de plus de mise: les
jeunes acteurs gagnent en aisance avec l'expérience, et la magie
a perdu son lustre initial pour devenir un événement commun
dans un univers où la naïveté de l'enfance cède
peu à peu le pas aux tourments de l'âge adulte. La transition,
présentée avec un doigté étonnant compte
tenu de la situation du film dans une série de blockbusters produits
à la chaîne, place les personnages de Harry Potter
and the Order of the Phoenix en plein coeur d'une adolescence que
le film injecte de la dose requise de rébellion. Après
avoir dompté - un peu maladroitement sous la tutelle de Newell
- leurs hormones dont l'ébullition avait été illustrée
avec humour par Cuarón, nos héros doivent cette fois faire
face à des figures d'autorité dont la légitimité
est au mieux douteuse. The Order of the Phoenix est le Rock
'N Roll High School de la série, faisant de la remise en
question des institutions l'enjeu principal de son récit: l'hypocrisie
aveugle de la classe dirigeante y devient aussi dangereuse, sinon plus,
que l'adversaire réel de nos protagonistes.
De cette progression entre les épisodes se dégage la plus
singulière des qualités de la suite de films, c'est-à-dire
cette volonté d'évoluer de manière formelle et
thématique avec son public et ses héros à la fois.
Le jeune sorcier maître du box-office n'est pas un Antoine Doinel,
et Daniel Radcliff ne sera jamais Jean-Pierre Léaud, mais l'attachement
à ces protagonistes vieillissants, sur lequel capitalisent les
Harry Potter, confère à ceux-ci une dimension
humaine à laquelle peut difficilement prétendre le «blockbuster»
moyen. Si bien que, même s'ils proposent une vision somme toute
assez convenue du cheminement menant de l'enfance à l'âge
adulte, ils ont à tout le moins le mérite de le faire
avec une rigueur peu commune. Ces films dégagent une aura remarquable
de qualité, une impressionnante régularité subsistant
malgré les fréquents changements de garde, standards remarquables
auxquels ne déroge pas ce cinquième chapitre d'un tout
dont chaque morceau a été, à ce jour, érigé
avec le plus grand soin.
La suite des choses s'annonce heureusement plus que prometteuse: s'il
ne possède pas un style personnel clair, Yates arrive néanmoins
à orchestrer un récit cohérent à partir
d'une source riche en détails et en bifurcations superflues.
Il n'est plus question pour lui d'établir l'univers dans lequel
évoluent ces personnages, ce que The Philosopher's Stone
avait déjà accompli de manière assez faste pour
qu'un néophyte s'y retrouve. The Order of the Phoenix
s’avère être au service de ses péripéties,
s'en tenant à l'essentiel pour que la saga avance. Ce Potter
simplement esquissé fera donc sans doute écumer les fanatiques,
dont les attentes quant à une « adaptation » de l'oeuvre
de J.K. Rowling frôlent l'intégrisme, mais comblera ceux
qui s'attendent à un divertissement attachant et rondement mené.
Certes, il est quelque peu dommage que l'affrontement final se résume
à une simple « bataille de flash-backs » montée
à la manière d'un vidéoclip; mais plus paresseux
s'est vu auparavant dans le merveilleux royaume des suites, et le sorcier
le plus populaire au monde se tire admirablement bien d'affaire pour
son cinquième passage au grand écran.
Version française : Harry Potter et l'ordre du Phénix
Scénario : Michael Goldenberg, J.K. Rowling (roman)
Distribution : Daniel Radcliffe, Harry Melling, Emma Watson, Rupert
Grint
Durée : 138 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis
Publiée le : 25 Août 2007
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