THE HARDER THEY COME (1972)
Perry Henzell
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Film culte pour certains, monument historique pour d'autres, The
Harder They Come de Perry Henzell demeure selon plusieurs le seul
véritable classique du cinéma jamaïquain. Toutefois,
le film d'Henzell pris tel qu'il est n'est pas le plus divertissant
ou le plus réussi de tous les temps, loin de là. En fait,
si l'on oublie le contexte politique difficile duquel il est né,
The Harder They Come est un film terriblement mal réalisé
au scénario maladroit qui s'étire inutilement. Il n'en
demeure pas moins qu'il se dégage de ce film d'un amateurisme
parfois éprouvant une authenticité remarquable, un désir
réel de présenter les conditions de vie misérables
d'un peuple doublé d'un violent appel à la révolte
face à l'oppression.
En ce sens, le personnage d'Ivan Martin, interprété par
la vedette du reggae Jimmy Cliff, se fait ni plus ni moins l'écho
de son peuple. Son histoire, celle d'un jeune musicien dont les espoirs
de devenir une star sont anéantis par les méthodes injustes
et la cupidité d'un producteur véreux, est en fait une
métaphore de la situation des Jamaïquains. C'est suite à
cet échec qu'Ivan devient dealer de drogue, tout simplement
car cette voie semble être la seule qui puisse lui permettre de
gagner sa vie. C'est comme criminel que le jeune homme obtiendra enfin
la gloire toujours rêvée.
Si, au niveau du fond, le film d'Henzell ne manque pas de bonnes intentions,
c'est de par sa forme incongrue et inachevée qu'il déçoit.
Peut-être est-ce tout bonnement parce que le tournage fut constamment
arrêté par les autorités ou faute d'un financement
adéquat, mais The Harder They Come est fragmenté,
sautant d'un évènement à l'autre au gré
d'un montage beaucoup trop épisodique pour créer un quelconque
rythme narratif entrainant. Il faut attendre un bon moment avant que
l'histoire ne semble prendre une direction tangible, et Henzell n'arrive
pas à piquer l'intérêt du spectateur lorsqu'il partage
de simples tranches de vie avec lui. Sa réalisation est non seulement
fade mais épuisante. Jimmy Cliff, quant à lui, ne s'en
tire pas mal dans le rôle principal mais son jeu, comme celui
de toute la distribution, manque terriblement de subtilité. Au
moins, la trame sonore est à la hauteur des attentes, quoique
répétitive, transmettant mieux que toutes les images du
film réunies la souffrance et la détermination de ses
personnages.
Certes, le film gagne une toute autre dimension lorsque l'on prend en
considération le contexte de sa création. Lorsque l'on
connait la tension qui régnait en Jamaïque à l'époque,
la montée d'Ivan Martin devient presque une prophétie,
un appel général à la révolte, un exutoire
à toutes les frustrations d'un peuple teinté d'un dur
réalisme. Car la trajectoire d'Ivan se termine avec un écrasement
en bonne et due forme. Personne, seul, ne peut vaincre le système.
Les corrompus gagnent toujours et les esprits rebelles meurent jeunes.
Ivan devient un martyr, une autre victime d'un régime inhumain.
Malheureusement, son évolution psychologique est si confuse qu'il
devient difficile de s'attacher à lui. Ses gestes s'expliquent
mal, tout comme plusieurs des points tournants de ce scénario
mal construit.
The Harder They Come demeure sympathique malgré l'incompétence
technique dont il est victime. Le film mérite sans aucun doute
d'être vu par les passionnés d'histoire du cinéma,
ne serait-ce que pour son influence sur des oeuvres aussi récentes
que Cidade de Deus, et les férus de reggae et autres
maniaques de culture jamaïquaine y trouveront fort probablement
leur compte; mais The Harder They Come demeure un film dont
la valeur théorique dépasse la valeur réelle, une
oeuvre dont les accomplissements cinématographiques sont surclassées
par les ambitions, tout de même remarquables, et les intentions
fort louables.
Version française : -
Scénario :
Perry Henzel, Trevor D. Rhone
Distribution :
Jimmy Cliff, Janet Barkley, Carl Bradshaw, Basil
Keane
Durée :
120 minutes
Origine :
Jamaïque
Publiée le :
4 Octobre 2004