HANSEL & GRETEL (2007)
Yim Pil-Sung
Par Mathieu Li-Goyette
Le conte des frères Grimm a rarement reçu un traitement
louable au cinéma. S'il s'était servi de leur univers
pour élaborer un discours sur la lubie, Terry Gilliam n'avait,
avec son Brothers Grimm, que ratissé un sujet qui était
rapidement tombé à l'eau sous le poids des attentes et
d'un grotesque qui avait déplu à la majorité des
cinéphiles. Pourtant, le film de Gilliam n'est pas étranger
à la démarche du cinéaste coréen Yim Pil-Sung
qui renoue avec les anciens récits germaniques dans l'espoir
d'y fonder un discours contemporain sur l'enfance et ses mécanismes
de défense (chose que Del Toro avait merveilleusement réussie
avec son Pan's Labyrinth). Ainsi, ce Hansel & Gretel
coréen raconte l'arrivée d'un adulte, Eun-Soo, dans une
étrange maison. À la suite d'un accident de la route -
il se dirigeait chez sa mère gravement malade - notre homme se
réveille au creux d'une forêt inquiétante dans laquelle
il se voit guider vers un refuge par une jeune fille à la robe
rouge et à l'antique lanterne. Sorte de premier pastiche à
l'univers des Grimm, le petit clin d'oeil annonce d'emblée l'entrée
dans un monde complètement rose bonbon et au kitch extravagant.
Peu après son arrivée, Eun-Soo rencontrera les deux autres
enfants d'une famille drôlement accueillante (les parents sont
tenus en esclavage par les enfants). Alors que tout cloche et rien ne
semble légitime par cet excès de bonté et de classicisme
folklorique (les beaux éclairages, les beaux costumes, les beaux
maquillages, les beaux accessoires, etc.), Pil-Sung nous entraîne
dans un conte de fées fondé sur le malaise et sur la reprise
des grands canons de l'art de conter, et surtout de son rapport à
l'enfance.
En effet, Hansel & Gretel s'identifie rapidement comme
le récit des enfants dans un monde où ceux-ci ne seraient
jamais parvenus à sortir de la forêt. Pour faire vite,
l'histoire des frères Grimm allait comme suit: deux enfants sont
maltraités par leurs parents et par deux fois ils sont expulsés
de la maison familiale. Une fois rendue en forêt, ils parsèment
des petits bouts de pain derrière eux pour retrouver leur chemin
(un animal mangera le pain), atterrissent ensuite dans la maison en
pain d'épices d'une vilaine sorcière. La soeur est forcée
à cuisiner pour faire engraisser le garçon qui, une fois
prêt à être dégusté, sert d'appât
à la sorcière qui tombe dans le panneau et termine brûlée
dans son propre four. Fin. Pil-Sung commence cependant son conte en
supposant que les enfants seraient restés prisonniers de la maison,
encore incapables de retrouver leur chemin et ainsi, forcés à
créer de toutes pièces un imaginaire familial qui leur
permettrait de survivre et de rester jeunes par manque de parent (sans
parent, ils ne peuvent trouver modèles, donc atteindre la maturité).
Si le film joue incroyablement bien la corde raide de la quête
parentale, c'est tout d'abord grâce à la remise en contexte
de l'abandon des enfants dans le contexte contemporain des explosions
de natalité en Asie. Orphelins parmi tant d'autres, les enfants
font partie d'un orphelinat où des impressions de prostitution,
d'esclavage et de torture infantile suggèrent, en fin de récit,
un retournement des rôles en faisant des adultes le plus grand
ennemi d'enfants-démons (puisque magiques et interprétés
comme antagonistes à Eun-Soo tout au long du récit). Pourchassés
par un curieux personnage (qui retient facilement les airs du curé-assassin
de Night of the Hunter - inutile cependant d'approfondir l'hommage
uniquement narratif), ils trouveront l'occasion de prouver à
notre héros bien méfiant leur bonté tout innocente
et leur désir maladif d'avoir des parents honnêtes et aimants.
Cachés dans l'ombre lorsqu'ils reprennent leur véritable
forme (donc l'âge adulte), ces vieux enfants craignent le regard
de Eun-Soo et craignent son départ en espérant avoir trouvé
en sa personne la figure paternelle qui leur aura toujours été
refusée. Dissimulée derrière des rideaux de clairs-obscurs
volontairement « artificialisé », une aura de kitch
s'empare des scènes d'épouvantes ici renversées
dans un conte pour enfants corrompu par l'unique regard - celui de la
méfiance - que nous pouvons lui accorder. Parce que trop coloré,
trop bien composé, interprété dans le seul registre
du sourire et des politesses, Pil-Sung surfait l'esthétique de
son film tourné dans une maison de pain d'épice esthétique
bourrée de trouvailles et de gratuités cinématographiques
« sucrées » tantôt plaisantes, tantôt
forcées. Au fur et à mesure que le réel se réalise
pour ces enfants, que les fantômes du passé les rattrapent
et qu'ils affrontent ce désir de conserver à jamais l'enfantillage
comme dogme, l'univers de Hansel & Gretel vire au gris
et à l'obscurité. La colère des enfants s'accentue,
leurs colères s'avèrent de plus en plus mortelles (dont
une curieuse métamorphose en poupée de porcelaine) et
la mise en scène perd peu à peu de son lustre dynamique
en s'ancrant dans des plans fixes déformés, visuellement
tourmentés. C'est ainsi que les jeunes diables deviendront de
vieux innocents, que les élans de travellings et de
zooms rapides ralentiront et resteront, à défaut d'être
originale, les causes d'une finale mal bouclée et malheureusement
moins rigoureuse sur le plan esthétique.
Puisque où la rigueur du kitch s'avère primordiale pour
recréer à partir de l'irréel une très rapide
croyance à l'improbable (en avouant ses mécanismes et
ses ficelles, la narration s'avère tout à coup crédible
sur une plus vaste étendue d'excentricités), la montée
dramatique du dernier acte où les causes du cloisonnement sont
enfin révélées rime difficilement avec l'inquiétante
plénitude qui la précédait. Bref, le film se conclut
trop lentement et tardivement dans un récit qui approche les
deux heures, les aspirations féériques de Pil-Sung suivent
correctement leur voie en se frappant de plein fouet à une conclusion
qui se devait provocante, mais qui, par une transition mal effectuée
entre le registre enfantin et l'atmosphère angoissante, ne parvient
pas à complètement tenir la route. Les implications trop
rares du fantastique lugubre et des atmosphères gothiques provoquées
par la forêt animiste se voient finalement plus de l'ordre de
la visée burtonienne de l'expressionnisme cinématographique
qu'au film d'horreur asiatique contemporain. Sans que ce choix esthétique
soit nécessairement une mauvaise décision, Hansel
& Gretel n'arrive justement jamais à atteindre les ambitions
créatives qui motivent sa construction dramatique. Dans la mesure
où l'imaginaire de l'enfance forcé à l'évolution
qui y est démontrée n'atteint pas tout à fait la
force de frappe dramatique que la sensibilité d'un tel sujet
permet habituellement. Rappelant parfois les récits contemporains
d'enfants-soldats, le paradoxe terrifiant de l'innocence devenue violente
(le jeune enfant terroriste ou le jeune enfant aux pouvoirs dangereux),
tire profit d'une réflexion sans cesse renouvelée sur
les thèmes du libre arbitre, de la conscience et de la responsabilité
qui posent la même question : la maturité sert-elle avant
tout de borne contre les violences primaires? En donnant raison à
cette thèse disciplinaire, les enfants (de) Hansel &
Gretel, chargés de pouvoirs illimités et tueurs de
tout adulte remplissant mal son rôle d'« adulte »
énoncent - on semble encore difficilement se lasser de ce genre
de discours - que la vérité sort de la bouche des bambins.
Version française :
Hansel & Gretel
Scénario :
Yim Pil-Sung
Distribution :
Cheon Jeong-myeong, Sim Eun-kyung, Jang Yeong-Nam,
Jin Ji-hee
Durée :
117 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
16 Septembre 2009