THE HANGOVER (2009)
Todd Phillips
Par Louis Filiatrault
Dieu sait que toutes les « comédies » ne sont pas
drôles, et que les mêmes films ne font pas rire tout le
monde. Pourtant, une ou deux fois par année, une production parviendra
à réunir les différences de sexe, de culture et
de caractère dans un même bassin de rires, ou se montrera
tout simplement si convaincante dans son créneau particulier
qu'elle fera fondre les résistances de bien des sceptiques. Fort
d'une sortie en période dégagée, The Hangover
est un bel exemple de ce type de phénomène, et s'avère
d'autant plus réjouissant que peu de choses auraient pu laisser
présager le succès qu'il rencontra. Film aux allures tout
ce qu'il y a de plus banales, c'est avec assurance qu'il nous livre
sa leçon de comédie moins traditionnelle qu'il ne peut
y paraître, transgressant quelques lieux communs de la comédie
alimentaire telle qu'exercée par les grands studios à
notre époque.
Avant toute chose, The Hangover raconte une histoire. Afin
de bien profiter de ses derniers jours de célibat, Doug prend
la route de Las Vegas avec ses amis les plus chers : l'incongru Alan,
l'anxieux Stu et le nonchalant Phil. Arrivés sur place, les compères
prennent résidence dans une suite luxueuse du Caesar's Palace,
se préparent pour une nuit de délire... avant de se réveiller
le lendemain matin sans le moindre souvenir de la veille, et surtout
sans trace du futur marié. Une prémisse classique, donc,
qu'on a vu se décliner en abondantes variations sur le thème
de la « soirée folle » au cours des dernières
années (à commencer par le mémorable Superbad).
Mais ce qui aurait pu sombrer dans la redite prend une forme plutôt
aventureuse: l'obsession de l'action présente généralement
entretenue par les scénaristes d'Hollywood est ici doublée
d'une reconstitution des nébuleux événements passés,
dont les révélations provoquent l'ahurissement complet
des protagonistes (au plus grand plaisir du spectateur). Ce contact
perpétuel entre deux niveaux de temporalité, d'ordinaire
associé au cinéma policier, procure à chaque séquence
du film un authentique suspense quant à son imprévisible
résolution, et s'amuse à nous faire languir dans l'anticipation
de la suivante.
Mais l'étonnement ne s'arrête pas à la chaîne
de péripéties. Peut-être plus que quoi que ce soit,
The Hangover démontre l'intérêt d'avoir
à son bord une distribution de premier ordre repêchée
parmi les vedettes montantes. Bradley Cooper (vu dans quantité
de bluettes depuis Wedding Crashers), Ed Helms (vu à
gauche et à droite, mais surtout dans la série The
Office) et Zach Galifianakis (sorti de la scène et du petit
écran, mais aussi un peu de nulle part) tiennent ici la vedette
d'un film sans véritable tête d'affiche, sinon l'improbable
complémentarité de leurs caractères. Seul à
garder la tête froide au milieu des effarantes circonstances,
Phil s'impose naturellement comme le chef de bande ; mais les développements
extravagants de l'enquête auront le don de le remettre à
sa place, tandis que, plutôt discrètement, ses compagnons
auront la chance de sortir de leurs coquilles. Il est tout à
l'honneur des comédiens d'avoir su composer des personnages couards,
hautains ou tout simplement étranges sans tomber dans l'irritante
caricature, et en insufflant une admirable crédibilité
à leurs enjeux psychologiques respectifs. Pour leur part, les
contributions enjouées de Heather Graham, Rob Riggle ou encore
Mike Tyson (oui, Mike Tyson) complètent agréablement le
portrait d'une « ville du péché » à
l'humeur légère, où de telles mésaventures
semblent être la norme.
En tout et pour tout, la qualité la plus surprenante du film
de Todd Phillips (dont la feuille de route compte les éblouissants
Road Trip et School for Scoundrels...) est sans doute
la remarquable cohérence de son humble mise en forme. Ce ne sont
ni un régime de valeurs conservatrices, ni le clinquant étouffant
de Las Vegas qui, malgré leurs rémanences, mènent
le projet par le bout du nez ; ici, tout est réalisé dans
le sens du gag, ce qui tend à éliminer les temps morts,
en plus de démontrer une confiance rare en la qualité
du scénario de départ. Qu'il s'agisse d'un burlesque plus
subtil tirant profit du cadre, de la profondeur et de la coupe (voir
l'entrée en scène du tigre), des insultes, jeux de mots
et autres formes de lapsus (voir les digressions démentes de
Galifianakis), ou tout simplement de bonnes vieilles tapes sur la gueule
(ex-aequo entre les scènes du « taser » et de la
barre à clous), tous les registres de la comédie populaire
se rencontrent en un tout harmonieux et juste assez rythmé, les
fautes de goût se faisant rares, et ce, des quelques séquences
de montage jusqu'aux sélections musicales plutôt convenues.
Il en va de même du dialogue, dont la vulgarité s'avère
le plus souvent appropriée à l'outrance des découvertes,
et dont les excentricités coulent généralement
de source. Dans le paysage actuel de la comédie américaine,
la plus belle vertu de ce film aux visées indéniablement
commerciales est de se présenter malgré tout comme un
oasis de plaisir pur, un concentré de surprises refusant la paresse
des formules.
Bien sûr, tout le monde ne trouvera pas son compte avec cette
comédie peu visionnaire et somme toute assez barbare, aussi «
universelle » qu'aie-je pu tenter de la décrire. Sans le
moindre doute, The Hangover est un objet états-unien
jusqu'à la moelle, et ne va pas chercher bien plus loin que l'horizon
de son ensemble plutôt restreint de signifiants culturels. C'est
aussi un film au tempérament et aux idées à prédominance
mâle, dont les représentations de la gent féminine
ne s'élèvent que rarement au-dessus de l'insulte ou de
la mise en objet (Graham, à tout le moins, pourvoit son personnage
de prostituée d'une aura de candeur bien à elle). Mais
nonobstant cet apparent (et peut-être bien réel) manque
de raffinement intellectuel, l'ensemble n'en paraît pas moins
honnête et conciliant vis-à-vis de ses héros et
de leurs pulsions, dont le fond de vérité suffit à
les rendre éminemment sympathiques. C'est d'ailleurs avec tact
qu'est gérée la question du mariage planant sur l'ensemble
du récit, les auteurs évitant bien de tourner le sujet
en dérision tout comme d'en valoriser la sainteté, le
caractère isolé des frasques débiles étant
souligné à profusion. De son ouverture confiante à
son générique de fin pour le moins généreux,
The Hangover propose en bout de ligne un divertissement d'une
fraîcheur et d'une mesure peu commune à son champ respectif,
à la simple condition de vouloir se conformer à ses termes
peu exigeants.
Version française : Lendemain de veille
Scénario : Jon Lucas, Scott Moore
Distribution : Bradley Cooper, Ed Helms, Zach Galifianakis, Justin
Bartha
Durée : 100 minutes
Origine : États-Unis, Allemagne
Publiée le : 8 Février 2010
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