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HALF NELSON (2006)
Ryan Fleck

Par Jean-François Vandeuren

C’est une histoire qui se répète au moins une fois par année depuis le début de la décennie. Un jeune cinéaste américain a la chance de mettre en scène son premier long-métrage de fiction. Il profite alors de l’occasion pour aborder d’un angle inusité une série d’enjeux sociaux et humains trop souvent confinés à l’intérieur d’une seule et même approche. Le réalisateur finit d’autant plus par mettre la main sur une jeune star montante et couronne le tout d’une joyeuse célébration du milieu artistique indépendant en parsemant la trame sonore de son film d’une pléthore de pièces indie rock. Évidemment, ce jolie tableau ne serait pas complet sans une participation au Festival de Sundance où l’effort se retrouverait dans une position privilégiée pour récolter quelques prix et ainsi s’assurer un certain succès lors de sa sortie en salles plus tard dans l’année. Pour 2006, le cas répondant le mieux à tous ces critères est sans contredit le Half Nelson de Ryan Fleck.

Nous sommes invités ici à prendre place à l’intérieur de la classe de Dan Dunne (Ryan Gosling), un jeune professeur idéaliste qui enseigne l’histoire d’une façon un peu particulière dans une école primaire d’un quartier peu nanti. Son désir de guider ses élèves vers un avenir plus rayonnant est toutefois empreinte de contradictions, lui qui est déjà aux prises avec un sérieux problème de dépendance à la drogue. Son lourd secret sera découvert un jour par une de ses étudiantes, Drey (Shareeka Epps), avec qui il finira par se lier d’amitié. Voyant le genre de vie qui l’attend si elle laisse le quartier prendre les dessus sur elle, la jeune fille cherchera à réveiller les ardeurs de son professeur pour qu’il puisse l’aider à son tour.

Ryan Fleck est précisément le genre de réalisateur précis, lucide et spontané dont le cinéma américain de demain a besoin. Avec Half Nelson, le jeune cinéaste s’attaque à une réalité sociale maintes fois abordée par Hollywood au cours des années 90, mais souvent sans succès. Fleck s’évertue ainsi à réparer les failles d’une formule se voulant parfois beaucoup trop optimiste sans devenir lui-même défaitiste. Ignorant toute forme de clichés et de personnages caricaturaux, la caméra de Fleck dépeint avec justesse et profondeur ce milieu peu favorisé où erre une jeunesse extrêmement influençable et constamment en quête de repères. Dans un premier temps, le cinéaste suggère de par une utilisation abondante du gros plan cette marge de manœuvre des plus restreintes dont les deux principaux personnages tentent tant bien que mal de se libérer. Fleck arrive tout de même à faire respirer cette approche parfois étouffante en signant au final une réalisation aussi directe que poétique, imageant ainsi avec autant d’aplomb que de retenue la tourmente et les obstacles vécus par les habitants de ce quartier plongé dans une forme de chaos beaucoup plus intérieure.

Ce qui retient l’attention également est la manière dont Fleck base continuellement son effort sur des oppositions. Un détail que souligne à répétition le cinéaste de par la façon dont Dan Dunne enseigne l’histoire à ses élèves. Une série de séquences qui permettra d’ailleurs à Fleck d’élever un des symboles les plus représentatifs de l’essence de son film : le Yin et le Yang. Si cette image est particulièrement visible sur le plan culturel et social, sa mise en évidence se veut beaucoup plus nuancée pour ce qui est des autres sphères de l’effort, surtout en ce qui a trait à la relation entre les deux principaux personnages qui tend à ce que chaque partie deviennent l’élément manquant de l’autre (le petit point blanc dans un demi-cercle noir et vice versa). Cette notion s’applique également aux environnements du film en général et à la façon dont l’ensemble des personnages interagissent. Ici, Fleck substitue des rapports de force beaucoup plus tranchants d’ordinaire par des actions pas nécessairement plus réfléchies, mais tout de même moins impulsives.

Ainsi, Half Nelson se sépare de la prémisse classique de ce genre de récit en ne cherchant pas à faire de son protagoniste un héros sans faille. Dan Dunne ne règne pas en roi dans une classe de surdoués au potentiel somnolant et la caméra de Ryan Fleck effectue plutôt un portrait d’ensemble beaucoup plus véridique où, parmi les quelques étudiants moindrement attentifs au discours de leur professeur, d’autres ont la tête ailleurs ou s’endorment carrément sur leur pupitre. En laissant en suspend l’avenir de ses deux protagonistes, Fleck peut ainsi aborder diverses notions de choix sans tomber dans la morale ingrate et superficielle. Pour sa part, la jeune Shareeka Epps offre dans son premier rôle au grand écran une performance tout simplement formidable alors que de son côté, Ryan Gosling a enfin trouvé un rôle à la mesure de son talent et mérite désormais de figurer parmi les acteurs les plus talentueux de sa génération.




Version française : -
Scénario : Anna Boden, Ryan Fleck
Distribution : Ryan Gosling, Shareeka Epps, Anthony Mackie, Monique Curnen
Durée : 106 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 16 Octobre 2006