GROSSE POINTE BLANK (1997)
George Armitage
Par Jean-François Vandeuren
Dans le merveilleux monde du cinéma, il se produit parfois cet
étrange phénomène dans lequel deux productions
partageant une prémisse similaire apparaissent tour à
tour sur les écrans, et ce, en un lapse de temps somme toute
assez limité. On pense entre autre à Capote et
Infamous qui couvraient tous deux les événements
ayant entouré la rédaction du fameux In Cold Blood
de Truman Capote, ou encore à Deep Impact et Armageddon
qui s’intéressaient pour leur part à l’hypothétique
destruction de la planète Terre par une vilaine comète
ou une pluie d’astéroïdes. Mais il faut remonter jusqu’au
mois d’avril 1997 pour découvrir les deux champions incontestés
de cette curieuse catégorie. En l’espace de seulement quatorze
jours, le public nord-américain aura été invité
deux fois plutôt qu’une à accompagner quelques protagonistes
à leur réunion des anciens du secondaire et, par la même
occasion, à se replonger dans l’esprit des années
80 quelques années avant que le synthétiseur et l’androgynie
ne reprennent leur place respective au sein de la culture populaire
mondiale. Mais bien que les deux films soient unis par la même
idée de départ, ceux-ci s’avèrent tout de
même bien différents au bout du compte. D’un côté,
David Mirkin nous proposait avec Romy and Michele’s High School
Reunion une comédie rose bonbon légèrement
vulgaire dans laquelle nous devions suivre les péripéties
ridicules de deux jeunes blondasses insignifiantes. De l’autre,
George Armitage signait avec Grosse Pointe Blank une comédie
noire cultivant un goût marqué pour le macabre dans laquelle
un tueur à gage névrosé retournait dans son patelin
dix ans après avoir quitté celui-ci de façon quelque
peu précipitée. Pas très difficile de deviner quelle
soirée allait être la plus riche en rebondissements…
Ce contexte pour le moins particulier permettra évidemment au
cinéaste de ramener son personnage principal à son essence
en le forçant à remettre constamment en question la tournure
sanglante qu’aura prise sa vie d’adulte depuis son départ
du bercail. À défaut d’ancrer son récit dans
une quelconque réalité, Armitage protégera habilement
ses arrières dès les premiers instants du film en adoptant
une ligne de pensée selon laquelle le métier que nous
exerçons ne représente en rien ce que nous sommes en tant
qu’individu. Le personnage de Martin Blank (John Cusack) n’aura
ainsi rien du psychopathe froid et sanguinaire et tout du travailleur
ordinaire oeuvrant dans un secteur d’activité peu conventionnel
- et souvent incompris. Ce point étant clarifié, le réalisateur
américain pourra à présent concentrer toutes ses
énergies à mettre en place de façon inspirée
les rouages d’une comédie corrosive, mais néanmoins
nuancée. L’humour est d’ailleurs basé davantage
ici sur l’intelligence et le mordant des dialogues que sur l’exploitation
de gags physiques alors que l’éventail de personnages avec
lequel Armitage tente de nous familiariser aurait tout aussi bien pu
appartenir à l’univers d’une comédie signée
Woody Allen. Grosse Pointe Blank récupère en
soi une histoire déjà bien connue du grand public et nous
fait suivre les (més)aventures d’un protagoniste prisonnier
de sa carrière - ou plutôt ici de ses implications et de
l’image qu’elle projette - qui aurait grand besoin d’un
changement d’air. Une opportunité en or se présentera
un jour à lui lorsqu’un contrat l’amènera
contre son gré dans la région de Détroit alors
que l’on s’apprête à y célébrer
les dix ans de sa promotion. Ce cher Martin pourra ainsi faire d’une
pierre deux coups en liquidant sa cible et en faisant le point sur son
existence en renouant notamment avec une ancienne flamme qui hante son
esprit depuis plus d’une décennie.
Grosse Pointe Blank n’est évidemment pas le genre
d’essais dont nous nous souviendrons longtemps pour ses innombrables
qualités esthétiques. Car bien que la réalisation
de George Armitage s’avère en soi tout ce qu’il y
a de plus compétente, l’ensemble se révèle
beaucoup trop statique et télévisuel - pour ne pas dire
carrément anonyme - pour être réellement marquant.
Mais pour tout le manque de style dont le film peut souffrir sur le
plan visuel, nous devons bien reconnaître que le cinéaste
et son équipe de scénaristes auront su compenser largement
au niveau de l’écriture en mettant sur pied un univers
filmique rafraîchissant, parfois cinglant, et dont la forte personnalité
n’est fort heureusement jamais atténuée par une
quelconque carence en bonnes idées comiques. Grosse Pointe
Blank impose à cet effet un ton beaucoup plus cynique et
satirique que caricatural, capitalisant largement sur le malaise et
le ridicule inhérents à ce type de mises en situation,
et ce, autant dans l’appréhension des événements
que dans leur déroulement. Le cinéaste et ses acolytes
se jouent d’ailleurs parfaitement de leur prémisse tout
en prenant grand soin de ne jamais l’user, tout comme leurs diverses
séquences humoristiques qui ne s’avèrent jamais
surfaites et qui atteignent toutes la cible sans aucune difficulté.
Il faut dire que le présent effort a visiblement été
édifié avec énormément d’assurance
par ses auteurs et ses interprètes. Pierre angulaire des deux
partis, John Cusack livre une performance tout en retenue, mais à
travers laquelle il réussit parfaitement à faire ressortir
le caractère instable de son personnage et à communiquer
le plaisir évident qu’il a eu à jouer les tueurs
tourmentés en complet noir. Ce dernier est appuyé par
un casting tout aussi enthousiaste duquel ressort particulièrement
un Dan Aykroyd que nous n’avons malheureusement pas eu la chance
de revoir dans une aussi grande forme depuis.
Grosse Pointe Blank a en soi tout du genre de projets réalisés
entre amis pour le simple plaisir de la chose, mais avec des moyens
disons un peu plus imposants que ceux avec lesquels le plus commun des
mortels devrait ordinairement composer. John Cusack s’est ainsi
entouré des mêmes scénaristes avec lesquels il allait
de nouveau collaborer trois ans plus tard pour la géniale adaptation
du roman High Fidelity de Nick Hornby en plus de partager l’écran
avec son vieil ami Jeremy Piven et trois de ses frères et soeurs.
Le présent effort aura été l’occasion pour
tout ce beau monde d’interpréter une palette de personnages
excentriques et névrosés, mais tout de même fort
attachants, avec un plaisir coupable, et surtout contagieux. Le tout
sur un fond musical d’enfer pigeant de façon gourmande
dans le répertoire de formations telles Violent Femmes, Pixies,
The Specials et The Clash, pour ne nommer que celles-ci. L’équipe
en charge du projet alla même jusqu’à se permettre
de recruter nul autre que Joe Strummer pour ajouter quelques pièces
originales à cette trame sonore déjà plus que stellaire.
Couronnez le tout d’une dernière séquence de fusillade
tournée à la manière d’une sitcom et vous
avez un film se jouant parfaitement des limites de sa propre zone de
confort. Il est tout de même étrange que George Armitage
n’ait pu trouver de projets plus substantiels à réaliser
par la suite, lui qui nous n’a offert depuis que le peu emballant
The Big Bounce de 2004. Même chose pour le scénariste
Tom Jankiewicz pour qui Grosse Pointe Blank constitue le seul
et unique projet cinématographique à ce jour. Les deux
artistes pourront néanmoins se consoler en se disant qu’ils
auront participé à la création de l’une des
comédies américaines les plus honnêtes et efficaces
des années 90.
Version française : Le Tueur de Grosse Pointe
Scénario : Tom Jankiewicz, D.V. DeVincentis, Steve Pink,
John Cusack
Distribution : John Cusack, Minnie Driver, Joan Cusack, Dan Aykroyd
Durée : 107 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 31 Août 2009
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