LES GRANDES CHALEURS (2009)
Sophie Lorain
Par Mathieu Li-Goyette
La ville de Québec défile sous un plan aérien impressionnant.
La mise en scène semble fluide. Le film, quitte à présenter
la capitale comme une carte postale mal cadrée, se passe dans
un contexte peu courant du cinéma québécois. Une
intervenante sociale qui oeuvre quelque part entre Québec et
Lévis, épuisée par le boulot, épuisée
par un mari décédé et poursuivie par un jeune freluquet
sapide de 19 ans qui ne cesse de la pourchasser et de la croiser - miraculeusement
dans une ville qui abrite quelques 500 000 citoyens - et de lui faire
offrande de son corps d'Apollon. Plus important encore, la soeur de
notre Gisèle (notre protagoniste confuse) a commis l'adultère
des années durant avec le défunt époux et le freluquet
en question est un des anciens «clients» de notre girouette.
Que faire devant la tromperie et la stature professionnelle demandée
pour ne pas finir dans les petites culottes du jeunot? La question,
si elle semble idiote, se pose dans un film aux allures comiques et
au fini mélodramatique qui se dédouble d'une retranscription
particulièrement absurde de la génération du jeune
charmeur (François Arnaud, plus charismatique que réellement
convaincant). Les jeunes « bums » de Québec,
à en croire Les Grandes chaleurs, occupent les dures
soirées de la cité à faire exploser des bouteilles
de cola brassées et à poursuivre leurs amis à bord
des calèches du Vieux-Québec (qui ont visiblement maintenant
la permission de s'aventurer jusqu'en banlieue). Adapté d'une
pièce de Michel Marc Bouchard qui a pourtant fait ses preuves,
il y a, au passage de la scène au grand écran, eu une
perte de pertinence et un gain d'idioties qui peinent à trouver
leurs origines.
Premièrement, parce que l'humour absurde peut être un humour
intelligent. Deuxièmement, parce que la distribution (qui recèle
Marie-Thérèse Fortin et Maxime Dumontier dans le générique)
peut parvenir, on s'en rappelle par expérience, faire tenir un
film sur ses épaules. Et troisièmement, rien ne poussait
à croire que le premier long-métrage signé de l'actrice
Sophie Lorain serait si mal épaulé et si mal exploité.
Catastrophe cinématographique des premiers plans juteux du pantalon
jeans de Yannick (François Arnaud) à cette chute de la
vilaine soeur au beau milieu d'un lac, Les Grandes chaleurs
en question sont une suite de péripéties « en chaleurs
» où celle qui n'a pas été satisfaite depuis
belle lurette sera enfin récompensée par le deus ex
machina d'un adolescent hormoné à la cadence «
femme mature ». Sans vouloir paraître vulgaire ici, il est
important de soulever que le film de Lorain l'est autant sinon plus
dans le développement d'une relation amoureuse interdite où
l'affection du jeune homme envers cette Gisèle ne semble aucunement
décoller de l'aspect sexuel du couple. Petite première
tendresse bien charmante avec le coup des fleurs, il y a bien peu de
choses qui intéressent Yannick mis à part le corps de
sa nouvelle partenaire tourmentée (par un patron jaloux qui menace
de lui faire perdre son emploi) et ses propres abdominaux qu'il s'efforce
d'exubérer le plan fixe venu alors que le scénario de
Bouchard aurait voulu nous faire croire tout autrement à la complicité.
Cliché, modelé sur un schéma classique et mal articulé
du drame romantique, la romance des Grandes chaleurs est mal
dosée et bascule du registre comique au registre dramatique sans
l'aisance et l'humour requis pour éviter le malaise général.
Pourtant, bien que certaines interprétations puissent détoner
du lot (prenons celle de Marie Brassard en soeur et tante incapable),
il ne fait pas chaud souvent dans Les Grandes chaleurs. Bien
mince caractérisation des personnages secondaires, touches poétiques
très louches, cadrages à repenser, le traitement de l'espace
n'est pas plus cinématographique qu'il se contente souvent d'être
la vision aplatie d'un monde sans réalité. Autant que
cette impression « chaude » ne se véhicule pas vraiment
alors que Yannick débouche une bière trainant sur une
table ensoleillée, autant que ses amis soient en mesure d'épier
une conversation à 15 mètres de distance et à travers
une fenêtre close, la liste d'incohérences autant physiques
que scénaristiques et cinématographiques ne méritent
pas nécessairement l'énumération. D'une part, parce
que nous aurions aimé que le film de Lorain se prouve d'un meilleur
acabit, et d'une autre, parce que la question du tabou dans une relation
amoureuse à 30 ans de distance se pose avec raison et avec les
répercussions qu'elle peut entraîner. Comme toute audace,
il est donc aussi fort probable qu'elle tombe à plat et que son
potentiel provocateur se dissipe suite aux absurdités. Si le
cinéma se veut une représentation réaliste d'une
certaine vision, sa cohérence se voit assurée par la création
d'un monde complexe qui, à condition d'établir ses propres
lois rapidement, doit se plier à la logique qu'il met de l'avant
contrairement aux largesses que le théâtre (classique,
contemporain ou expérimental) peut se permettre en tant qu'art
de la scène et de la personnification. De la mascarade au subterfuge,
l'expérience de Michel Marc Bouchard est ratée.
En d'autres mots, il n'y avait peut-être pas de cloison sur la
scène qui séparait les jeunes du nouveau couple. Ledit
quatrième mur devait être ouvert, permettant au spectateur
de théâtre de voir les voyeurs et les épiés
dans le développement malsain d'une relation que l'on craignait
(au nom de l'amour spirituel et instantané du couple) être
dévoilée au grand jour. Au cinéma, l'amalgame passe
sous le montage alterné, les pitreries d'un groupe comme de l'autre
qui s'accumulent vers une apothéose grotesque relevant plus de
l'enfantin que des petits airs de Commedia dell'arte. Accompagné
par une bande-sonore au sommet de la musique « indépendante
de bistro caniculeux », Les Grandes chaleurs est servi
par des dialogues grossièrement interprétés et
dictés par des comédiens qui semblent avoir oublié,
malgré leur talent, l'habituelle scission entre le jeu de scène
et celui de la pellicule. Ces moments d'un lyrisme de bas-étage
(évitons, comme nous disions, l'énumération), en
font essentiellement un film pour satisfaire les propres pulsions de
son public cible. Qu'il soit adolescent et en quête de sujets
intouchables ou bien plus âgé et à la recherche
d'une fidèle transposition d'un fantasme juvénile, celui-ci
ne pourrait y trouver qu'un bien mince bagage à emporter avec
lui. Lieu d'air climatisé par excellence, la salle de cinéma
ayant bénéficié des grandes chaleurs pour remplir
ses sièges aura aussitôt fait de projeter sur son écran
ce gâchis incompréhensible en réussissant, modestement,
à formuler quelques promesses pour la carrière de réalisatrice
d'une de nos comédiennes populaires.
Version française : -
Scénario :
Michel Marc Bouchard
Distribution :
Marie-Thérèse Fortin, François
Arnaud, Marie Brassard, Yvan Benoît
Durée :
99 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
19 Août 2009