GLOBAL METAL (2008)
Sam Dunn
Scot McFadyen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
L'idée que la musique rock est un symbole probant de l'américanisation
des cultures ne date pas d'hier; mais ne serait-il pas plus juste d'en
interpréter la prolifération à l'échelle
mondiale en tant qu'émergence d'une authentique « culture
globale », d'un langage commun, au risque de faire frémir
les défenseurs de la tradition en tous genres? Un geste culturel
répété par-delà toute résonance contemporaine,
nous rappelait Louis Malle dans sa fabuleuse série L'Inde
fantôme (1969), n'est plus qu'un vulgaire acte folklorique
servi en pâture aux touristes. Dans leur documentaire Beijing
Bubbles: Punk and Rock in China's Capitol (2006), les réalisateurs
allemands George Lindt et Susanne Messmer montraient pour leur part
comment une nouvelle génération de Chinois en était
venue à s'identifier à la musique occidentale pour s'opposer
assez ironiquement à une société s'occidentalisant
elle-même à vue d'oeil. Les différentes cultures
tendent naturellement à s'influencer, à se contaminer
mutuellement; avec l'éclatement des frontières entraîné
par l'avènement de l'internet et de la mondialisation, cet échange
se produit aujourd'hui à un rythme accéléré.
La thèse que défend l'utopique Global Metal,
des Canadiens Sam Dunn et Scot McFadyen, c'est qu'il se déroule
sans mettre en péril l'intégrité de ces multiples
cultures. Suite ambitieuse au ludique succès Metal: A Headbanger's
Journey de 2005, Global Metal explore les ramifications
de la musique heavy aux quatre coins du globe - touchant inévitablement
aux enjeux politiques et sociaux soulevés par une telle entreprise.
La ligne de parti officielle veut que Global Metal soit le
point critique où l'anthropologie, discipline étudiée
par Dunn à l'université, reprend le dessus sur l'enthousiasme
endurci qui marquait A Headbanger's Journey. Mais, dans les
faits, ce nouveau film suit d'assez près la ligne générale
tracée par son prédécesseur; la démarche
de Dunn est plus passionnée que scientifique, et son film se
visionne comme un compte-rendu personnel plutôt que comme une
recherche aboutie sur son sujet de prédilection. L'objet de Global
Metal est d'emblée trop vaste pour être abordé
en profondeur: du Brésil au Moyen-Orient en passant par le Japon,
nos deux chercheurs amateurs aspirent à dresser l'historique
populaire du genre qu'ils chérissent tout en explorant un mouvement
underground bouillonnant sur différents continents. Alors que
chaque ville qu'ils visitent mérite probablement son propre film,
le tandem aspire à monter une synthèse réunissant
les divers intervenants en une seule et même tribu. Et ils n'ont
pas complètement tort, du moins si l'on se fie aux images qu'ils
ont accumulé au cour de leur voyage. Mais Global Metal
sent parfois la simplification excessive, alors que les questions qu'il
pose sont plus complexes - et importantes - que celles qu'avançait
A Headbanger's Journey dont le but premier était de
redorer aux yeux des néophytes le blason du métal terni
par des années de spandex et de chevelures extravagantes.
Circulant entre Israël et l'Iran, s'aventurant en Inde et en Chine,
l'équipe de tournage doit faire face à une multitudes
de problèmes qui dépassent le simple domaine de la musique.
Dunn et McFadyen ont le mérite d'accepter cette réalité,
et leur film tente de comprendre par l'entremise du métal le
monde qui l'entoure. Toutefois, Global Metal est à l'instar
du film précédent de ses auteurs un documentaire populaire
visant principalement à divertir son auditoire. Il n'y a évidemment
rien de mal à cela, et abordé avec de telles attentes,
le film livre la marchandise. Alternant entre drôlerie et information,
cette suite comporte quelques entrevues de choix avec des personnalités
bien connues: Bruce Dickinson d'Iron Maiden, Max Cavalera de Sepultura,
Lars Ulrich de Metallica et Tom Araya de Slayer comptent parmi les intervenants
de marque de cette nouvelle mouture de Metal. Et, parce qu'il
connaît bien son sujet, Sam Dunn pose les bonnes questions aux
bonnes personnes: il discute d'affirmation culturelle avec le musicien
brésilien responsable du classique métissé Roots,
traite des possibilités de la distribution numériques
avec un opposant notoire en partie responsable de la fermeture du pionnier
Napster et parle avec l'auteur d'Angel of Death des thématiques
controversées abordées par le genre.
Cependant, ce sont plus souvent qu'autrement les « metalheads
» d'à travers le monde qui sont à l'honneur ici.
Délaissant les grands mythes du métal, couverts pour la
plupart dans le premier volet de ce qui semble vouloir devenir une franchise,
les réalisateurs s'intéressent ici à la culture
- qui prend racine dans la musique mais la dépasse à plusieurs
niveaux. Par la dévotion qu'il suscite et l'esprit communautaire
qu'il anime en dépit des frontières, le métal est
ici posé en parallèle avec la mondialisation et la religion
- deux enjeux que le film aborde malheureusement de manière superficielle,
alors qu'ils méritaient un traitement en profondeur. Entre sa
thèse sérieuse et ses visées ludiques, Global
Metal se perd parfois. Les conclusions formulées sont précipitées,
les ambiguïtés politiques passées sous silence; le
discours du film fait généralement preuve d'un peu trop
d'optimisme, épongeant notamment la question de l'occidentalisation
de différentes cultures assez rapidement. Pourtant, les idées
véhiculées s'avèrent fréquemment séduisantes:
Dunn croit profondément au pouvoir cathartique de la musique
qu'il défend corps et âme. Au cours de ses pérégrinations,
il entrevoit - et démontre de surcroît - l'émergence
d'une véritable culture globale unissant les marginaux et les
révoltés; le heavy metal devient dans certains pays une
forme de résistance au conformisme, aux régimes politiques
oppressifs.
Ayant été victime au cours de son histoire de toutes les
dérisions, le métal a aujourd'hui trouvé une place
légitime dans le paysage musical mondial. Global Metal
est à la fois une lettre d'amour à cette communauté
passionnée qui en a fait son cri de ralliement, et un essai peu
critique sur l'impact que peut avoir la culture populaire à une
époque où son mode de propagation évolue à
vue d'oeil. Certes, on pourrait reprocher au film de Dunn et McFadyen
ses images parfois proches de la carte postale et son argumentation
fragile, trop souvent fondée sur des anecdotes. Mais ce serait
oublier que ce documentaire s'adresse d'abord et avant tout aux convertis
de longue date, que son principal objectif est de communiquer son enthousiasme
sans bornes pour la musique du diable et qu'à cet égard
il satisfait les attentes. Moins inspiré que son prédécesseur,
Global Metal demeure un complément agréable et
intéressant - truffé d'idées pertinentes qui auraient
mérité d'être mieux développées. Il
a, à tout le moins, le mérite de poser un regard sans
condescendance sur un univers trop souvent dénigré par
les élites culturelles. Les amateurs, sur ce point, ne pourront
qu'apprécier le respect dont fait preuve ce documentaire somme
toute assez réussi.
Version française : -
Scénario :
Sam Dunn, Scot McFadyen
Distribution :
Sam Dunn, Scot McFadyen
Durée :
93 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
18 Juillet 2008