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GHOST WORLD (2001)
Terry Zwigoff

Par Vincent Bergeron

L'adolescence de Terry Zwigoff n'a probablement pas été la plus heureuse et la plus sociale. Après avoir concocté un joli documentaire - en partie produit par David Lynch - aussi déprimant que hilarant sur le bédéiste sexiste Robert Crumb, son Ghost World continue un peu où la réalité sans pitié de Welcome to the Dollhouse de Todd Solondz se terminait. On pourrait ainsi dire que maintenant diplômée au niveau secondaire, la tronche aux lunettes rondes (Enid dans ce film) s'est depuis libérée des attaques des autres. Elle l'a fait en devenant très glaciale, grâce à un air supérieur et des remarques cyniques dignes d'une femme beaucoup plus âgée et éduquée. Enfin, elle se sert de son intelligence, mais pas toujours à son avantage : «God, what a bunch of retards...».

Très peu enjouées, la sexy Enid – certains les aiment ainsi -, interprétée par Thora Birch (American Beauty), et sa meilleure..et seule amie, Becky, jouée par Scarlett Johansson (Lost In Translation) s'échangeant des commentaires désobligeants à propos d'à peu près tout le monde les approchant : « This is so bad it's almost good. », « This is so bad it's gone past good and back to bad again. »

Jusqu'au jour où Enid jouera une mauvaise blague à son équivalent adulte, un homme mûr socialement distant, collecteur de vieux vinyles de folklore américain. L'homme en question, Seymour (Steve Buscemi), ressemble étrangement au personnage du névrosé Harvey Pekar dans le brillant American Splendor; l'artiste en devenir, Enid, rappelle sa partenaire déprimée. « I can't relate to 99% of humanity » dira plus tard Seymour. Pareil pour Enid.

En même temps, elle se rendra compte de la distance philosophique la séparant de son amie de toujours Becky. Beaucoup plus terre à terre et réaliste, Becky accepte l'aliénation mentale du travaille et possède une définition du plaisir beaucoup plus standardisée que celle très particulière et restrictive de Enid : « Oh, face it, you just hate every single guy on the face of the earth. », «I just hate all these extroverted, obnoxious, pseudo-bohemian losers.» En fait, les deux amies ont peu de choses en commun. De son côté, Enid supporte difficilement les emplois étudiants : «...Medium? Why sir, did you know that for a mere 25 cents more you can purchase a large beverage? And you know... I'm only telling you this because we're such good friends : Medium is really only for suckers who don't know the concept of value ».

Becky prendra ses distances et Enid trouvera un certain réconfort chez le similairement philosophique Seymour : « Well, I have to admit that things are really starting to look up for me since my life turned to shit. » N'ayant absolument rien en commun, Seymour et la femme avec laquelle Enid l'a matché commence une relation vouée à l'échec. Désespéré, il s'en accommodera pendant un moment : « As long as she's not a complete imbecile and she's even remotely attractive ». En secret, Enid rêve de quitter son « shit hole » sans le dire à personne alors que tout le monde l'abandonne d'une manière ou d'une autre.

Une comédie extrêmement intelligente, l'antidote à tous les films mièvres mettant en scène des adolescentes idiotes, Ghost World est mémorable dans pratiquement toutes ses scènes et ses répliques. Pas du tout un film pour adolescents - à moins bien sûr que la (le) jeune spectatrice (eur) s'identifie avec le personnage de Enid - Ghost World raconte la réalité de tous les jours d'êtres humains s'avérant incapables de s'identifier à l'agissement social de leurs semblables; semblables qui ne leur sont pas du tout semblables finalement. Au premier visionnement, les répliques désabusées de Enid peuvent paraître très peu attachantes et froides. Son personnage s'épanouit rapidement lorsqu'il se met en couple impossible avec Seymour. La projection est claire comme deux pièces de casse-tête s'imbriquant l'une dans l'autre : Seymour n'est rien de moins que le futur de Enid si elle ne change pas de personnalité dans l'avenir.




Version française : -
Scénario : Daniel Clowes, Terry Zwigoff
Distribution : Thora Birch, Scarlett Johansson, Steve Buscemi, Brad Renfro
Durée : 111 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 16 Avril 2006