GHOST DOG : THE WAY OF THE SAMURAI (1999)
Jim Jarmusch
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Ghost Dog n’est pas le premier film de Jim Jarmusch où
se multiplient les références à la littérature.
Dans Down By Law, le personnage de Roberto Begnini avait découvert
l’Amérique par l’entremise de ses films et des poètes
Walt Whitman et Robert Frost. Avec Dead Man, cependant, cette
obsession littéraire s’est soudainement mise à jouer
un rôle beaucoup plus actif dans la façon dont le récit
même se déroule, définissant les bases de la relation
entre William Blake et Nobody. Cette tendance se poursuit avec Ghost
Dog : The Way of the Samuraï qui raconte l’histoire
d’un tueur à gages afro-américain du nom de Ghost
Dog (Forest Whitaker) qui a décidé de vivre sa vie selon
les principes véhiculés par le Hagakure, un livre
maintes fois centennaire qui définit la philosophie ainsi que
le code d’honneur du samuraï.
Ghost Dog est donc un autre de ces outsiders que chérit
Jarmusch, un homme qui voit les États-Unis, ses mythes et ses
coutumes, d’un nouveau regard. Il vit sur un toit, entouré
de ses fidels pigeons voyageurs, méditant les principes du Hagakure
et recevant de temps à autre de nouveaux ordres de son maître
Louie (John Tormey), un mafieux minable qui lui a sauvé la vie
quelques années plus tôt. Cet épisode est d’ailleurs
présenté par Jarmusch comme étant une erreur de
perception de la part de Ghost Dog, erreur rappelant le livre auquel
le réalisateur fait explicitement référence dans
son film : Rashomon. La famille pour laquelle travaille Louie
en est à ses dernières heures : elle est incapable de
payer le loyer de son repaire situé dans le sous-sol d’un
restaurant asiatique bon marché. De plus, ses dirigeants semblent
avoir quelque peu perdu la tête. Lorsque l’une des missions
de Ghost Dog laisse comme témoin du meurtre la fille de l’un
des gros bonnets de la famille, celui-ci décide que l’assassin
doit être à tout prix éliminé. Ghost Dog
doit donc trouver une façon de se défendre sans briser
le lien d’honneur qui l’unit à Louie.
Ghost Dog : The Way of the Samuraï est probablement le
film le plus traditionnel de Jarmusch à ce jour. Il respecte
certaines des règles du genre dans lequel il s’inscrit,
ce qui est en soi une surprise de taille, et la réalisation y
est beaucoup moins minimaliste qu’à l’habitude. Le
rythme auquel l’histoire se déroule est lui aussi relativement
rapide, si l’on prend en considération que l’on fait
tout de même affaires avec un film de Jarmusch. Qu’un film
sur un assassin noir vivant selon un code d’honneur éteint
depuis des siècles soit le moins étrange d’un réalisateur
en dit long sur la nature de l’Oeuvre de celui-ci. Toutefois,
Ghost Dog s’inscrit merveilleusement bien dans cette
Oeuvre fascinante, en constante évolution, et en reprend plusieurs
des thèmes habituels.
Habile créateur de personnages, Jarmusch nous offre une fois
de plus une gallerie de ces excentriques qu’il peint toujours
avec brio. Forest Whitaker est excellent dans le rôle-titre, dégageant
une présence et une force qui est encore plus impressionante
si l’on considère qu’il faut attendre une trentaine
de minutes avant de le voir parler à l’écran. Dans
le rôle de son meilleur ami, un vendeur de crème glacé
haïtien qui ne comprend pas un mot d’anglais, l’acteur
africain Isaach de Bankolé est tout simplement irrésistible.
La relation entre ces deux personnages est d’ailleurs des plus
réussies.
Ghost Dog est un film hybride qui saute avec aplomb de la comédie
au drame sans jamais perdre l’équilibre. Jarmusch intègre
tout au long de son film des extraits de dessins animés dont
la violence augmente à chaque fois. Cette technique atteint un
point culminant à la fin du film lorsque Jarmusch réussit
à donner une portée dramatique à un extrait d’Itchy
and Scratchy qui devient pour l’occasion une superbe critique
de la violence consommée impunément dans notre société.
Car derrière ses allures de film de genre un peu tordu, Ghost
Dog est une autre réflexion très bien articulée
sur l’Amérique qui porte la signature de l’un de
ses grands réalisateurs indépendants.
Version française :
Ghost Dog : La voie du samouraï
Scénario :
Jim Jarmusch
Distribution :
Forest Whitaker, Isaach de Bankolé, John
Tormey, Cliff Gorman
Durée :
116 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Mars 2004